3 - Jérémie le prophète (3/6)

Philippe Favre

L'époque de Jojakim, le rebelle - chapitres 13 à 20

Comme d'autres prophètes, Jérémie n'a pas écrit dans l'ordre chronologique; il faut donc rajouter les chapitres 25, 26, 35 et 36 pour avoir une idée complète du règne de Jojakim. D'autre part, les chapitres 21 et 22 comprennent un message adressé aux quatre derniers rois, dont Jojakim. Nous y puiserons des informations complémentaires.

La mort du roi Josias fut une catastrophe nationale. Grièvement blessé sur le champ de bataille de Meguiddo, il fut ramené à Jérusalem où il mourut. Tout Juda et Jérusalem le pleurèrent (cf 2 Chroniques 35.24), et le deuil décrété laissa des traces profondes dans le peuple puisque, 120 ans plus tard, Zacharie en parle encore dans une prophétie (cf Zacharie 12.11). On imagine facilement les sentiments qui animèrent Jérémie lorsqu'il apprit la nouvelle tragique. Il composa une complainte (cf 2 Chroniques 35.25) et comprit à ce moment-là la réponse de Dieu à ses interrogations. Il se prépara alors à «lutter avec les chevaux» (cf Jérémie 12.5) !

Josias avait eu quatre fils (cf 1 Chroniques 3.15). Le premier-né Jochanan est probablement mort jeune car l'Ecriture n'en parle pas. Le trône devait revenir à Jojakim – deuxième fils – mais contre toute logique, ce fut le dernier fils, Joachaz – appelé parfois Schallum – qui monta sur le trône, poussé par le peuple (cf 2 Chroniques 36.1). Une intrigue d'ordre politique en est peut-être la raison: Jojakim avait des sympathies égyptiennes alors que celles de Joachaz se portaient du côté de l'Assyrie. A l'époque, ces deux nations se partageaient des zones d'influences qui débordaient tour à tour sur la Palestine. Mécontent de ce choix, le roi d'Egypte vint à Jérusalem pour destituer Joachaz et le remplacer par Jojakim qui devint son vassal (cf 2 Chroniques 36.4). Les trois mois de règne de Joachaz ne laissèrent aucune empreinte, sinon celle du mal; il mourut en Egypte.

Jojakim gouverna 11 ans (608 à 597 av. J.-C.); il ne ressemblait pas à son père Josias. Tyrannique, violent, opportuniste, adonné à l'idolâtrie et au luxe, il se construisit un palais somptueux sans rétribuer la main-d'œuvre (cf Jérémie 22.13-17). Mais comme un écrivain l'a dit: Les palais n'assurent pas la stabilité d'un règne, car malgré toute cette pompe, et à cause de sa rébellion contre Nebucadnetsar, Jojakim fut lié plus tard avec des chaînes d'airain pour être conduit à Babylone où il mourut misérablement (cf 2 Chroniques 36.6). Personne n'a jamais connu sa sépulture et le jour de sa mort on ne tint pas plus compte de lui que d'un âne (cf Jérémie 22.19). Contrairement à son père, aucune lamentation ne fut composée pour lui.

La révélation centrale des chapitres 13 à 20 porte sur l'irrévocabilité du jugement. La situation s'est dégradée, le ciel s'est obscurci depuis le temps de Josias. Israël tourne le dos à Dieu (cf 2.27; 32.33) et refuse de pratiquer la justice malgré les avertissements, les menaces et les déclarations contenues dans les chapitres 2 à 10. L'instrument du châtiment à venir sera le roi de Babylone et son armée qui s'entreprendront – après la victoire sur Pharaon Neco à Carkemisch en 605 av. J.-C. – à refouler les Egyptiens jusque dans leur pays en subjuguant les régions traversées (cf 46.2). Ici on comprend que les événements historiques sont modulés par Dieu et servent à son dessein.

Dieu prévient Israël par des signes: la ceinture de lin, la sécheresse, le célibat de Jérémie, la maison du potier, le vase brisé. Les prophètes s'adressaient autant aux yeux qu'aux oreilles de leur auditoire. Ils se heurtaient à un problème courant de nos jours: un public indifférent. Responsables de la réception du message, ils utilisèrent bien avant le temps la méthode audio-visuelle! Ces signes, avec les nombreux renseignements que nous avons sur Jérémie et Jojakim, nous permettent d'établir un plan pour notre 3e étude.

1. Le prophète menacé (chap. 26)

Après la mort de Josias, Jérémie doit s'affirmer, en particulier lorsqu'il réprimande Jojakim pour son extravagance (cf 22.13-19). Sa vie est nettement plus risquée, et sa vocation prend tout son sens devant l'incapacité du roi à juger avec sagesse au nom de Dieu. Au début du règne de Jojakim, Jérémie est envoyé dans le parvis de la maison de l'Eternel pour annoncer la Parole de Dieu; il manque de mourir puisque ses auditeurs s'écrient dans l'indignation: «Tu mourras.» Choqués, tenant des propos haineux contre le prophète qui ne craint pas de leur dire la vérité, ils l'accusent devant les chefs de Juda qui se déplacent pour régler son cas (cf 26.2-11). On se croit dans les Evangiles lorsque le sanhédrin accusait Jésus devant Pilate (cf Luc 23.2), mais la distance entre le Fils de Dieu et le prophète demeure. Si Jésus a laissé les événements se dérouler, Jérémie lui, se défend. Son heure n'est pas encore venue et le retournement du peuple le prouve (cf 26.16). Le fait est d'autant plus remarquable que Jojakim, dans son despotisme, avait déjà fait mourir un autre homme de Dieu (cf 26.21-23).

2. La ceinture de lin détruite (chap. 13)

La ceinture neuve de Jérémie, portée devant tout le monde, est l'image d'Israël dans sa relation initiale (cf v. 11); et celle qu'il ramène plus tard, détériorée, représente le royaume de Juda dénaturé. L'application est faite séance tenante: «Ainsi parle l'Eternel : C'est ainsi que je détruirai l'orgueil de Juda et l'orgueil immense de Jérusalem» (v. 9). Le peuple plaçait sa confiance dans la ville de Jérusalem comme dans un talisman; le poids des habitudes rendait cette ville invulnérable depuis l'époque d'Ezéchias, c'était légendaire. Cependant Dieu n'est pas lié par ses interventions passées (cf 2 Chroniques 32.20-23), ni par le renom et la réputation d'un centre religieux, pas plus que par les moments bénis que chacun peut connaître; ce qui compte, c'est la fidélité présente. La parole terrifiante: «Rien ne m'empêchera de les détruire» (13.14) est immédiatement suivie d'un appel à écouter et prêter l'oreille, à rendre gloire à l'Eternel avant qu'il fasse venir les ténèbres (cf v. 15-17); Dieu tente de sauver en repoussant les limites du jugement.

La question personnelle du verset 22: «Pourquoi cela m'arrive-t-il ?» monte du cœur. Dans notre façon de parler limitative et superficielle, le cœur est lié à la vie affective – le cœur qui aime ou qui déteste, le cœur qui désire ou qui craint – alors que dans la pensée biblique le cœur a un sens beaucoup plus large: il désigne la partie profonde et centrale de la personnalité; il est le siège de la vie intérieure; la pensée intime et secrète. Un verset des Proverbes résume bien cette définition: «Garde ton cœur plus que toute autre chose, car de lui viennent les sources de la vie» (Proverbes 4.23). Dans les rapports humains, le cœur est donc soustrait aux regards et on ne le connaît qu'indirectement par ce qu'en traduit la face et ce qu'en rapportent les lèvres (cf Proverbes 15.13 et 16.23), et plus directement par une attitude intérieure droite. Mais les paroles et les actes peuvent le dissimuler (cf Proverbes 26.23-26), car l'homme a la redoutable capacité de se dédoubler, causant ainsi un malentendu sans fin et des situations indémêlables. La myopie de sa conscience lui fait voir double ce qui est simple aux yeux de Dieu et louvoyer périlleusement. Toutes les déviations sont alors possibles. Jérémie parle de l'accoutumance à faire le mal (13.23).

Aux prises avec l'appel de Dieu, l'homme peut aussi se tirer d'affaire par un déguisement. Il pratique un culte extérieur uniquement par de belles paroles pour compenser un désengagement (cf Psaume 78.36; Amos 5.21). Déjà sous Esaïe, l'Eternel démasquait la malfaçon: «Quand ce peuple s'approche de moi, il m'honore de la bouche et des lèvres; mais son cœur est éloigné de moi, et la crainte qu'il a de moi n'est qu'un précepte de tradition humaine» (Esaïe 29.13). Dans Jérémie, l'Eternel pointe en profondeur: «J'éprouve le cœur, je sonde les reins » (17.10). Et que voit-il?

La grande tâche de Jérémie est de crier sur les toits l'iniquité du peuple, cette sorte de septicémie morale incurable. Une telle déclaration est démodée aujourd'hui, mais ce sont là des vérités profondes. Les entendons-nous encore dans nos Eglises où un vent d'humanisme souffle ? On relativise tout, la grandeur de Dieu se rétrécit et c'est ainsi que l'on retombe dans le culte extérieur mentionné plus haut.

Pourtant la loi prévoyait un commandement positif: «Tu aimeras l'Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force» (Deutéronome 6.5). Nous avons là toute la composition de l'être: le cœur, centre de la personnalité; l'âme, siège de l'affectivité; la force, la volonté. Marc ajoute: «... de toute ta pensée», c'est-à-dire avec ton intelligence (Marc 12.30).

Samuel s'en fait l'écho: Revenez, ôtez, dirigez, servez de tout votre cœur! (cf 1 Samuel 7.3). David priait avec ferveur: «0 Dieu! crée en moi un cœur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé» (Psaume 51.12).

Jérémie, dont Dieu a touché la bouche (1.9) prédira une nouvelle alliance où la loi sera écrite dans le cœur du peuple (cf 31.31-34). Ezéchiel, sur qui Dieu a mis sa main (cf Ezéchiel 1.3) déclarera: «Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j'ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair» (36.26).

3. Le fléau de la sécheresse (chap. 14 et 15)

Dieu continue d'avertir le peuple par degrés successifs, car ce n'est pas la première sécheresse (cf Deutéronome 28.24). Quand la conscience n'est plus touchée, Dieu envoie un prophète et quand ce prophète n'est plus écouté, il appesantit sa main. Cela fait encore partie de sa patience (cf Romains 2.4).

Après une description de la sécheresse et de ses conséquences, Jérémie confesse les péchés du peuple en s'identifiant à lui; mais Dieu refuse l'intercession de Jérémie qui dialogue, et pleure; bien plus, Jérémie plaide (cf v. 1-22). Nouveau refus, le caractère inévitable de la sentence se profile. La tension monte, il ne s'agit plus des on-dit. Autant Dieu est puissant dans sa miséricorde, autant il est ferme dans son jugement. Sa sainteté le demande, sa justice l'exige.

Jérémie est accablé (cf 15.1-10). Tous le maudissent et pourtant il ne vit pas au crochet du peuple. Pour le réconforter, Dieu éclaire l'avenir et lui fait une promesse qui va au-delà de sa propre personne (cf v. 11). C'est une allusion voilée à la sainte postérité (appelée le reste, cf Esaïe 1.9; Sophonie 3.13; Romains 11.5) qui renaîtra de ce peuple (cf Esaïe 6.13) et reconstruira le Temple (cf Esdras 1.5). En font partie les Juifs croyants qui se nourrissent de la Parole, se rattachent au Seigneur et ont la capacité de séparer ce qui est précieux de ce qui est vil (cf 15.19). Nous la retrouverons au temps de Jésus et elle formera le noyau du nouvel Israël dans les temps à venir. Passant du physique au spirituel, la terre desséchée se change en sources d'eaux (cf Esaïe 35.7), même pour Jérémie à qui Dieu réitère l'appel du début en 15.20.

4. Le célibat de Jérémie (chap. 16 et 17)

Au début du chapitre 16, le prophète est vu comme une valeur d'exemple car le peuple ne s'arrête pas seulement à ses paroles, mais à ses actes. Dieu lui ordonne le célibat (v. 2) et l'abstention de toute vie sociale (v. 5-8). Pourquoi ces mesures draconiennes ? Cela paraît impensable de nos jours. Mais chargé d'une mission urgente, Jérémie doit consacrer toute son énergie à l'essentiel. Le fardeau que représente la destruction du pays dépasse les préoccupations légitimes, les peines et les joies de la famille et des amis. Il s'agit d'un cas particulier, ce n'est pas un appel à la fuite des responsabilités confiées à l'homme par Dieu, ni à une motivation égoïste. Paul reprend cette pensée en 1 Corinthiens 7.26- 35 où il recommande de se fixer comme but principal l'attachement au Seigneur sans distraction. Dans ce passage délicat, Paul ne prêche pas l'ascétisme ou le repli, mais il met l'accent sur une relation intense et personnelle avec Dieu dans un temps difficile. Tous les instants de notre vie appartiennent à Dieu, tout est sacré, et dans sa souveraineté il indique le chemin à chacun de ses enfants pour autant qu'ils se laissent éclairer et enseigner à ce sujet (cf Psaume 25.4). Au verset 10 nous retrouvons cette malice démoniaque dans les questions posées par le peuple figé dans les formes. Mais la réponse de Dieu est sans équivoque: il sera déporté (cf v. 11-13). Malgré cela la grâce est sous-jacente puisque Israël reviendra dans son pays et les nations se convertiront à Dieu (cf v. 14-21). Je compare ici le livre de Jérémie à un torrent de montagne avec ses rebondissements perpétuels, ses eaux calmes ou tumultueuses.

La description de l'homme qui se confie en Dieu (cf 17.5-8) nous amène à considérer plus loin le verset 12: «II est un trône de gloire, élevé dès le commencement, c'est le lieu de notre sanctuaire.» Nous trouvons là le secret de la puissance spirituelle de Jérémie, de son énergie inlassable, de sa compassion, de son indignation, de sa vie de foi, de sa nature de héros solitaire et inébranlable face à des hommes de tout acabit, de son intelligence des temps et du plan de Dieu. Cette sorte d'homme fait défaut en notre époque où tout s'accélère, se désarticule et se modifie.

Le mot sanctuaire est employé dans la Bible pour désigner le Tabernacle (cf Exode 25.8; Hébreux 9.1-2), ou le lieu très saint (cf Lévitique 16.12; Hébreux 9.25), ou encore Dieu lui-même (cf Ezéchiel 11.16, version Darby). Dans le sens courant, le mot sanctuaire a d'autres acceptions que la Bible ne reconnaît pas:
– une grotte, un monticule où l'on se recueille devant une statue;
– un édifice consacré aux cérémonies d'une religion;
– dans la religion catholique au sens strict, partie de l'église située autour de l'autel où s'accomplissent les cérémonies liturgiques.

Pour revenir au sens biblique, le sanctuaire est le lieu où Dieu habite, parle et se révèle en exclusivité. L'homme n'y est admis que sur invitation. Dans l'Ancien Testament, seul le souverain sacrificateur avait droit d'entrer dans le lieu très saint une fois par an, lors de la fête des expiations (cf Lévitique 16). Dans le Nouveau Testament, ce mot désigne le ciel, où Jésus-Christ ressuscité est entré une fois pour toutes. Assis à la droite de Dieu, il comparaît pour nous devant sa face, sauve parfaitement celui qui s'approche de Dieu par lui (cf Hébreux 1.3; 7.25 ; 9.12, 24). Bien que sous la loi, Jérémie connaissait le lieu du sanctuaire dans ce dernier sens et il en avait une révélation profonde. Il ne dissocie pas l'intimité du sanctuaire de la majesté du trône. Il a une saine compréhension du caractère divin qui est amour et justice, grâce et vérité à la fois.

Ces considérations nous font voir la communion de Jérémie avec son Dieu comme un exemple pour nous:

Dès son appel, Jérémie a vu ce trône de gloire élevé; il n'a cessé d'en considérer les degrés et les effets, et c'est pourquoi il demande la guérison intérieure en 17.14. Ce besoin de purification naît d'une sérieuse prise de conscience, d'un dégoût de la superficialité. C'est la repentance d'un homme mûr avec cette qualité de foi que Dieu approuve, traduite par la déclaration: «Et moi, pour t'obéir...» (17.16). Nous sommes loin du fonctionnarisme ! Dans le même verset ce serviteur de Dieu affirme que ce qui sort de ses lèvres peut être vérifié. Quel réconfort de lire ce témoignage solide dans un temps où la vérité s'arrange.

5. La maison du potier et le vase brisé (chap. 18 et 19)

Dans les deux chapitres, Israël est représenté par un vase: le vase manqué et refait, allusion à la conversion nationale du peuple; le vase cassé, symbole du rejet qui vient.

Au chapitre 18, Jérémie descend dans la maison du potier pour le voir travailler. Souveraineté, autorité, liberté résument l'action de Dieu envers ce peuple qu'il a sauvé de l'esclavage et qu'il a établi en Canaan. Il n'améliore pas ce que l'homme abîme, mais il crée quelque chose de nouveau d'où les termes: homme nouveau (cf Ephésiens 4.24), nouveauté de vie (cf Romains 6.4).

Au chapitre 19, Jérémie reçoit l'ordre d'acheter un vase de terre et de se rendre dans la vallée de Ben-Hinnom pour le briser devant des représentants du peuple. Cette parabole en action a pour but d'éveiller l'attention des chefs sur la proche invasion chaldéenne. Celle-ci sera si meurtrière que le lieu s'appellera la vallée du carnage (cf 7.31 à 34; 19.6).

6. Le prophète persécuté (chap. 20)

L'hostilité envers Jérémie se déchaîne dans ce chapitre. L'inspecteur en chef du Temple déteste tellement les paroles du prophète qu'il le frappe et le met en prison (au bloc, version Darby, dans les fers, version Synodale). Il s'agit d'un supplice où le condamné se trouve dans une position inconfortable, ni assis, ni debout, ni couché. Dieu veille sur son serviteur car il est relâché le lendemain d'une façon inexplicable (v. 1-3). Peut-être que Paschur a fait un calcul: Jérémie tenaillé par la torture parlera moins et recherchera une alliance avec les chefs. Mais c'est inutile, car à peine sorti de prison, Jérémie prophétise encore. Un homme de Dieu de cette trempe ne va pas changer son message parce que les circonstances évoluent. Les versets 7 à 18 dépeignent les combats intérieurs de Jérémie qui souffre moralement, physiquement et spirituellement. Entortillé dans de violents états d'âme, il connaît des luttes âpres avec lui-même. Il ressemble à quelqu'un qui sent soudainement le sol craquer. C'est peut-être pendant la nuit au poteau que ces pensées ont défilé dans sa tête. Il subit la raillerie de tout le monde chaque jour. Les termes chaque jour, tout le monde et toutes les fois alourdissent l'épreuve. Il supporte aussi les mauvais propos, l'épouvante, l'accusation, la malveillance. Tout cela dans une grande solitude. Pourtant:

Ces arguments le dégagent puis une nouvelle vague de tristesse à mourir s'abat sur lui (v. 14). Cependant Jérémie ne se croit pas sur le divan du psychiatre et il ne faut pas confondre son combat avec la verbosité inutile du moi. Il n'y a pas de comparaison entre sa tâche et la nôtre, c'est pourquoi Jérémie laisse libre cours à des sentiments analogues à ceux de Job (cf Job 3.1-6). Que dire devant une telle détresse ? Que c'est trop pour un homme d'être ainsi harponné ? Que sa résistance nerveuse cède?... Le reste du livre prouve que Jérémie possède des réserves insoupçonnées, un potentiel inusable. Oui, Dieu peut compter sur lui car il fait partie de la race des loyaux, des décidés, des persévérants et des conquérants.

7. Le livre brûlé (chap. 36)

Dans ce chapitre nous retrouvons Jojakim pour la dernière fois. Jérémie prêche depuis 23 ans (25:3), mais dès maintenant, il ajoute un autre moyen d'expression: le document écrit. En consignant ainsi toutes les prophéties, Dieu espère encore un signe de repentance, car nous lisons avec étonnement "je pense" et "peut-être" au verset 3. Dieu serait-il soumis à des caprices, ne connaîtrait-il pas le fond du cœur, ne saurait-il pas ce qu'il se veut, serait-il sensible à des fluctuations comme nous? Non, ces mots jaillissent de sa miséricorde. Je conseille au lecteur de prendre connaissance de tous les détails concernant la dictée de ce document et sa lecture publique (cf. 36:4-26). L'autorité de la Parole a un double effet: l'effroi chez les chefs (v. 16), la colère chez Jojakim. Assis dans sa maison d'hiver, entouré de ses courtisans, ce dernier se fâche à l'ouïe des sévères paroles divines. Il coupe le livre avec le canif du secrétaire et le brûle entièrement dans la cheminée (v. 23). L'Ecriture rapporte que personne ne fut effrayé et n'eut de problème de conscience, sauf trois hommes (v. 24-25).

En donnant un coup de canif dans la Parole de Dieu, Jojakim a inauguré la longue série des critiques qui ont découpé la Bible en petits morceaux. Sa violence destructrice est lourde de conséquences: Nebucadnetsar assiégera Jérusalem en 605 av. J.-C., assujettira Jojakim et déportera dix mille personnes parmi lesquelles Daniel et ses compagnons (cf 2 Rois 24.14; Daniel 1.1-2).

Quant à Jérémie, il redicta son livre à Baruc et l'enrichit par de nouvelles prophéties (36:32); c'est ainsi que le livre de Jérémie, tel que nous l'étudions, voit le jour. «La Parole de notre Dieu subsiste éternellement» (Esaïe 40.8).