La vraie spiritualité

Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible

Deuxième partie: Libéré désormais des conséquences du péché

I. L'homme séparé de lui-même

8. Libération de la conscience

Dans les sept premiers chapitres, nous avons considéré la libération des liens du péché dans la vie présente. Nous allons maintenant nous pencher sur la question de l'affranchissement des conséquences de cette libération du péché. Nous pourrions aussi intituler cette partie: "réflexions complémentaires sur la vraie vie chrétienne".

Nous ne pouvons bénéficier de la solution biblique à ce problème ni obtenir les promesses de Dieu à ce sujet pour notre vie présente, sans remplir deux conditions préalables. La première est d'être un véritable chrétien, la seconde est d'agir selon l'enseignement biblique quant à la libération des liens du péché. C'est pourquoi les sept premiers chapitres de ce livre servent de base à la suite de nos propos.

Toute idée de signification pour notre vie s'avère une simple supercherie psychologique, une cruelle illusion, s'il n'y a pas certaines vérités de départ - vérités objectives ou vérités "propositionnelles", pour employer la terminologie du XXe siècle. Voyons quels sont ces faits fondamentaux.

Le premier de ces faits est la réalité objective d'un univers surnaturel, et la réalité du salut au sens biblique du terme.

Sans ces certitudes, tous les efforts de l'homme moderne pour glaner quelques miettes des bénédictions de l'Ecriture se réduisent à une manipulation psychologique, sans plus. Et n'oublions pas qu'à l'arrière-plan se dresse une vérité plus centrale encore: l'existence d'un Dieu personnel et infini, à l'image duquel l'homme a été créé. Et parce que l'homme a été créé par Lui, à son image, la personnalité humaine est un concept tout aussi réel. Ce dernier s'oppose à tous les concepts déterministes, selon lesquels nous ne sommes qu'un ensemble de facteurs psychologiques ou chimiques.

Un autre fait incontournable concerne la nature du dilemme humain. La Bible déclare que le dilemme de la race humaine, avec lequel l'homme du XXe siècle se débat, est d'ordre moral. Le problème fondamental de la vie humaine est le péché et la culpabilité - une véritable culpabilité morale, non pas un simple sentiment de culpabilité - et un véritable péché moral, car commis envers un Dieu vivant et saint. A la différence de la conception néo-orthodoxe et de toutes les autres théologies modernes, nous devons comprendre la nature véritablement morale du péché et de la culpabilité. La cause n'en réside pas dans certaines restrictions métaphysiques ou psychologiques. L'homme est véritablement coupable envers un Dieu saint qui existe et contre lequel il a péché. Hors de cette perspective, l'espoir que donne l'Ecriture d'une libération des conséquences de l'esclavage du péché n'est qu'une fatale illusion.

Commençons par examiner la question de l'affranchissement des aspects négatifs de ma conscience. La parole de Dieu, ainsi que l'étude de l'histoire de l'Eglise, nous mettent en garde contre deux courants qui pourraient nous induire en erreur. Le premier s'intitule "le perfectionnisme" en termes théologiques. Il soutient qu'un chrétien peut atteindre la perfection ici-bas. On distingue dans ce courant deux tendances différentes. La première prétend qu'à un certain moment de la vie chrétienne intervient une sorte de seconde bénédiction, après laquelle on ne pèche plus jamais; beaucoup y croient sincèrement. A ses débuts, Wesley enseignait cette doctrine, mais il a cessé de le faire par la suite, car il s'est aperçu qu'elle était difficilement soutenable. La seconde tendance de perfectionnisme affirme que nous pouvons connaître une perfection momentanée, c'est-à-dire une "victoire" morale complète instant après instant, ce qui semble rejoindre notre concept d'une vie vécue à tout instant devant Dieu.

Mais la question se pose: pouvons-nous espérer atteindre une perfection définitive ou même momentanée? Un tel langage nous plonge tout simplement dans des discussions interminables sur l'idée abstraite d'une victoire totale quoique momentanée. Selon une autre formule répandue, nous pouvons être libérés de "tout péché connu". Mais à la lumière de la Parole de Dieu et de l'expérience humaine, force nous est d'admettre que le mot "connu" fait problème, de même que le mot "conscient" dans l'expression "péché conscient". D'ailleurs, avec l'un ou l'autre mot, une difficulté existe puisque, depuis la Chute, l'homme a pris l'habitude de se duper lui-même. Nous nous trompons nous-mêmes au plus profond de notre subconscient et de notre inconscient.

Plus le Saint-Esprit intervient dans ma vie et la pénètre, plus je me rends compte qu'il y a des failles profondes dans ma nature. Ces failles, la psychologie moderne les a traitées en termes d'inconscient et de subconscient, et bien que la philosophie cachée derrière cette psychologie moderne soit, souvent, fondamentalement fausse, elle souligne avec raison que l'essentiel de nous-mêmes est masqué. Ce qui apparaît à la surface n'est qu'une infime partie. Nous sommes comme l'iceberg - un dixième visible et neuf dixièmes cachés. Il nous est donc très facile de nous abuser sur notre propre nature; c'est pourquoi l'usage du mot "connu" est contestable. Lorsque je dis que je peux être libéré de tout péché "connu", la question se pose inévitablement: que suis-je capable de connaître? Tant que je ne peux pas définir ce que je suis capable de connaître, la question de savoir si je peux être libéré de tout péché "connu" n'a pas de sens. Et je constate qu'au fil des ans, à mesure que le Saint-Esprit lutte avec moi, je suis moi-même de plus en plus conscient des failles qu'il y a dans ma propre nature. L'homme est divisé en lui-même.

Or, il faut nous rappeler ici que, selon l'enseignement de l'Ecriture, tout depuis la Chute, se trouve sous l'alliance de la grâce. L'alliance des oeuvres a été détruite par le libre choix d'Adam et Eve, une décision délibérée et non-conditionnée. Dieu, dans sa grâce, a remplacé immédiatement cette alliance par la promesse - donnée pour la première fois en Genèse 3:15 - de l'œuvre future du Messie; ainsi, depuis la Chute, tout repose sur l'œuvre parfaite accomplie à la croix par le Seigneur Jésus-Christ; rien ne se fonde sur nous-mêmes, ni en nous-mêmes. Par conséquent, si je remporte de réelles victoires dans ma vie, elles ne sont ni mes victoires, ni l'effet de ma perfection. Une telle pensée ne correspond pas à l'image biblique de l'homme, ni à la manière dont Dieu agit envers nous depuis la Chute. Ce n'est jamais ma victoire, mais toujours celle de Christ. Ce n'est jamais mon oeuvre ou ma sainteté, c'est toujours l'œuvre de Christ et la sainteté de Christ. Si la pensée de ma victoire, de ma sanctification, fait son chemin en moi, il n'y a en fait pas de véritable victoire, ni de véritable sanctification. Je dois toujours garder à l'esprit que ma sanctification est en réalité l'œuvre de Jésus-Christ.

En effet, le seul moyen de ne pas s'enorgueillir d'une victoire - péché peut-être pire que celui dont nous affirmons avoir triomphé -, c'est de l'amener consciemment aux pieds de Christ, et de la maintenir là chaque fois que nous y pensons ou que nous en parlons. Car ne l'a-t-il pas remportée à travers nous? Plus la victoire est grande, plus il est nécessaire de la placer consciemment à ses pieds.

Nous avons parlé de deux fausses attitudes à éviter. La seconde est, en effet, tout aussi fausse que la première.

Le catéchisme de Westminster souligne que nous péchons chaque jour en pensées, en paroles et en actes. Cette affirmation est tout à fait juste, mais notre cœur mauvais peut en tordre le sens jusqu'à en tirer des conclusions extrêmement néfastes. Quand nous enseignons à nos enfants que nous péchons chaque jour en pensées, en paroles et en actes, nous avons à veiller à les avertir du danger de prendre le péché à la légère, ou de le considérer de manière abstraite. Si je compte sur la victoire de Christ pour être admis un jour au ciel, lui refuserais-je la gloire de ses victoires obtenues en moi et par moi dans ma vie présente? Lui refuserais-je les résultats que sa victoire sur la croix devrait produire dans les combats de la vie présente - combats menés devant les hommes, les anges et le monde surnaturel? Quelle affreuse pensée!

La Bible fait une nette distinction entre la tentation et le péché. Comme nous, Christ fut tenté en toutes choses, cependant la Bible dit avec insistance qu'il n'a jamais péché (Hébreux 4:15). Il y a donc une différence entre la tentation et le péché, et la tentation ne conduit pas nécessairement au péché.

"Aucune tentation ne vous est survenue qui n'ait été humaine, et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces; mais avec la tentation il préparera aussi le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter." (1 Corinthiens 10:13)

"Car l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, car tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde; et la victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi." (1 Jean 5:3-4)

La victoire sur le monde n'est pas la nôtre, ni le résultat de notre propre effort. Nous ne sommes pas dotés d'une source d'énergie capable de triompher du monde. Remporter les victoires, c'est l'affaire du Seigneur Jésus-Christ, comme nous l'avons dit plus haut. La victoire est possible dans la vie pratique, pourvu qu'à chaque instant j'élève les mains vides de la foi et que j'accepte le don divin. C'est ici "la victoire qui triomphe du monde". Dieu a promis dans la Bible que si la tentation existe, il y a aussi un moyen de ne pas y succomber. Recherchons donc ce moyen, avec l'aide de Dieu.

Après avoir souligné ces deux dangers, poursuivons notre étude. Imaginons que je vive à la lumière de ce que Dieu nous donne pour notre vie ici-bas. Enfant de Dieu, né de nouveau, je connais la réalité de la vraie spiritualité que Christ nous a acquise. Et voilà que soudain le péché réapparaît. Pour une raison ou pour une autre, ma foi en Dieu vacille. A ce moment-là, l'attraction d'un péché spécifique m'a empêché de résister par la foi malgré ma nouvelle relation avec la Trinité. La réalité pratique de la vraie spiritualité m'échappe soudain. Un matin, une après-midi, un soir, je découvre que quelque chose a disparu, quelque chose que j'ai connu: ma tranquillité et ma paix. Je n'ai pas perdu mon salut, car la justification est définitive. J'ai beau chercher, la victoire de Christ sur la croix n'est plus apparente en moi à ce moment-là. Mon attitude, en cette circonstance, ne peut pas manifester aux hommes que Dieu existe, que ses créatures morales et rationnelles ne sont pas un échec total. Bien sûr, je ne suis pas séparé de Dieu comme lorsque j'étais perdu, car Dieu me tient fermement, mais ma relation de fils avec son père est interrompue. Et je me souviens de ce que j'avais auparavant.

Une question s'impose alors: Puis-je faire marche arrière? Ou ma situation ressemble-t-elle à une tasse en porcelaine de Limoges qui, tombée sur un carrelage, se casse de manière irréparable?

Dieu soit loué, l'Evangile répond à cette question! La Bible est toujours réaliste, sans concession au romantisme; elle s'occupe de ce que nous sommes réellement. Nous pouvons faire marche arrière. Notre retour est possible à cause de cette vérité bien connue : c'est encore et toujours le sang de Christ, l'œuvre parfaite de l'agneau de Dieu, l'œuvre parfaite de Christ accomplie une fois pour toutes dans l'espace, le temps et l'histoire.

Le premier pas de cette marche arrière nous est connu. Personne ne peut accepter Jésus comme son Sauveur et être justifié, tant qu'il n'a pas reconnu qu'il est pécheur. Selon 1 Jean 1:4-9, il est clair qu'après avoir péché, le premier pas du chrétien vers la réhabilitation est de reconnaître devant Dieu qu'il s'est détourné de lui. Il ne cherche pas d'excuse, et ne met pas ce péché sur le dos de quelqu'un d'autre. Il l'appelle péché et rien de moins, même s'il ne s'agit que d'une attitude intérieure. Il doit le regretter.

"Et nous écrivons ces choses, afin que notre joie soit parfaite. La nouvelle que nous avons apprise de lui, et que nous vous annonçons, c'est que Dieu est lumière, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres. Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière (cette lumière n'est pas une simple illumination, mais désigne de toute évidence sa sainteté), nous sommes mutuellement en communion, et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché (maintenant). Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité." (1 Jean 1:4-9)

Remarquons avec quelle douceur Dieu s'occupe de ses enfants lorsqu'ils sont tombés, et quel est son but lorsqu'il nous corrige: nous amener à reconnaître comme tel le péché commis.

"Et vous avez oublié l'exhortation qui vous est adressée comme à des fils: Mon fils, ne méprise pas le châtiment du Seigneur, et ne perds pas courage lorsqu'il te reprend; car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de la verge tous ceux qu'il reconnaît pour ses fils. Supportez le châtiment: c'est comme des fils que Dieu vous traite; car quel est le fils qu'un père ne châtie pas? Mais si vous êtes exempts du châtiment auquel tous ont part, vous êtes donc des enfants illégitimes, et non des fils." (Hébreux 12:5-8)

S'il y a péché dans notre vie, et que nous persistions sans que Dieu mette sa main sur nous pour nous châtier avec amour, nous ne serions plus alors des enfants de Dieu. Mais Dieu nous aime trop pour cela. Il nous aime énormément comme ses enfants d'adoption.

"D'ailleurs, puisque nos pères selon la chair nous ont châtiés, et que nous les avons respectés, ne devons-nous pas à bien plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour avoir la vie ? Nos pères nous châtiaient pour peu de jours, comme ils le trouvaient bon; mais Dieu nous châtie pour notre bien, afin que nous participions à sa sainteté. Il est vrai que tout châtiment semble d'abord un sujet de tristesse, et non de joie; mais il produit plus tard pour ceux qui ont été ainsi exercés un fruit paisible de justice." (Hébreux 12:9-11)

Dieu poursuit un but bien précis lorsqu'il me discipline. Outre l'apprentissage de l'honnêteté, il veut me faire posséder ce "fruit paisible de la justice" et, une fois ces questions réglées, me faire retrouver la paix. Tels sont les tendres soins de Dieu envers moi.

Mais il y a une condition à remplir. Ce fruit paisible de la justice revient à ceux qui connaissent la réalité de la discipline divine; autrement dit, à ceux qui cherchent à comprendre son enseignement au travers de l'épreuve. La discipline de Dieu le Père a pour but de nous amener à reconnaître que tel péché bien précis est un péché. Sa main peut s'appesantir toujours plus sur nous jusqu'à ce que nous le reconnaissions comme tel, et que nous mettions fin à la recherche d'échappatoires en lui donnant des noms fantaisistes, ou en en rendant d'autres personnes responsables, ou encore en lui cherchant une excuse quelconque. Voulons-nous que la relation soit rétablie? En tant qu'enfants de Dieu, nous pouvons l'obtenir. La relation peut être rétablie à tout instant, mais je n'y suis pas prêt tant que je ne suis pas décidé à appeler péché tel péché bien précis.

J'insiste sur le terme péché bien précis. Dire "j'ai péché" ne suffit pas. C'est vague. Il faut vouloir appeler péché l'acte qui en est un. En me replaçant dans le jardin de Géthsémané avec Christ, j'entends le Christ, pleinement homme, déclarer: "Que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne". Christ tient un langage à l'opposé de celui d'Adam et Eve dans le Jardin de la Chute. De la même façon, je dois dire, ces mots pleins de signification: "Que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne", à propos de mon péché bien précis. Il ne suffit pas de rester vague et de dire : "Que ta volonté soit faite", mais plutôt : "Que ta volonté soit faite à propos de cette pensée, de cette parole, de cet acte, que je reconnais être un péché".

"Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité." (1 Jean 1:6)

Quiconque choisit de continuer sa marche dans les ténèbres ne peut être en libre communion avec celui qui n'est que lumière et sainteté. C'est tout simplement impossible.

"Car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l'orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais vient du monde." (1 Jean 2:16)

Voilà l'antithèse non seulement de sa parole-loi, mais encore de sa nature, de son essence. Comment pouvons-nous dire que nous avons communion avec Dieu, si nous prenons délibérément une voie qui est en profonde disharmonie avec ce qu'il est?

"Que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne". Lorsque j'exprime cette prière à propos de mon péché, je suis à nouveau une créature devant son Dieu, je retrouve la place pour laquelle j'ai été initialement créé. Tributaire de la faute en Eden, vu ma condition pécheresse, le moi est à nouveau crucifié, car il ne peut y avoir de résurrection sans crucifixion. Nous l'avons vu, la vie chrétienne connaît un ordre bien précis: pas de réconciliation sans repentance et une confession directement adressée à Dieu. Partant de l'enseignement de la Bible considéré dans sa totalité, à savoir que Dieu existe, cela semble logique. Dieu est un Dieu personnel et infini. Il a une personnalité. Il est saint. Si Dieu est tel, et si je suis devenu son enfant, n'est-il pas normal que je revienne à lui en tant que personne, et que je lui dise que je regrette ce que j'ai fait, si j'ai commis un péché, un acte qui est contraire à son essence? Dieu n'est pas une simple doctrine ou une abstraction, mais une personne bien présente. Certes, il se peut qu'en pratique nous ne saisissions pas bien toute la portée d'un péché. Cela est surtout vrai pour une personne psychologiquement perturbée, qui ne sera pas toujours capable de faire la différence entre un véritable péché et un simple désordre fonctionnel. Ici encore, nous avons l'image de l'iceberg, dont les neuf dixièmes sont immergés. Plongés dans le péché, nous ne pouvons donc pas toujours discerner tout ce que nous sommes. Il se peut que notre péché soit en grande partie caché, ou même enfoui dans notre subconscient, n'émergeant que de temps en temps. Mais quelle que soit la partie du mal qui apparaît, ce que nous en percevons est péché; je dois l'apporter en toute sincérité au Dieu qui connaît mon être tout entier, et lui dire avec un réel regret: Père, j'ai péché.

Nous avons déjà constaté le parallèle entre la justification et la sanctification, c'est-à-dire entre la manière de devenir chrétien et la manière de vivre la vie chrétienne. Dans la justification, le premier pas consiste à reconnaître que je suis pécheur, placé sous la juste colère de Dieu et incapable de me sauver moi-même. Dans la vie chrétienne, le premier pas consiste à reconnaître que je ne peux vivre cette vie par mes propres forces, ni par ma propre bonté. Lorsqu'il s'agit de revenir à Dieu après avoir péché, le premier pas est identique. Je dois reconnaître ce péché précis que j'ai commis. Un seul principe gouverne ces trois situations: nous avons affaire au même Dieu et au même problème à la base. Mais dans chacune des trois circonstances, le premier pas est insuffisant; je peux ensuite élever les mains de la foi, afin de recevoir le don de Dieu. Ainsi, si j'ai péché en tant que chrétien, seule l'œuvre parfaite de Jésus-Christ accomplie autrefois sur la croix du Calvaire dans l'espace, le temps et l'histoire, suffit à ma restauration. Seul, le sang de Christ est suffisant pour me purifier de mon péché, pour enlever ma souillure. Il me faut donc placer mon péché sous le sang de Christ, par la foi. Le processus reste toujours le même; nous retrouvons ici la passivité active déjà mentionnée. Nous ne pouvons pas nous purifier nous-mêmes, mais nous ne sommes pas pour autant des bouts de bois, ou des pierres. Dieu nous a créés à son image, et c'est sur cette base qu'il traite avec nous.

Comme dans la sanctification (cet aspect dont sommes conscients), dans la restauration tout repose sur le fait que le sang de Christ a un sens dans notre vie présente; notre retour vers Dieu a lieu lorsque, par la foi, nous appliquons cette réalité à chaque péché précis. A mon avis, les églises traditionnelles issues de la Réforme n'ont pas assez insisté sur le côté conscient de la vie chrétienne. Il ne s'agit pas de recevoir une "seconde bénédiction", mais d'apprendre à discerner concrètement ce que signifie l'œuvre de Jésus-Christ sur la croix pour notre vie présente, et d'en tirer les conséquences pratiques.

Je pense qu'un homme comme John Wesley savait cela. Il savait que Dieu intervenait dans sa vie sur la base de l'œuvre parfaite de Jésus-Christ. Sa doctrine au sujet d'une seconde bénédiction a été, à mon avis, mal comprise, et sa terminologie inadéquate, mais son aspiration sans aucun doute était bonne: il cherchait à comprendre quelle était la portée pratique de la mort de Christ. Qu'importe les termes employés, pourvu que la réalité s'appuie sur la connaissance que nous avons de ce que Christ nous a acquis, non seulement en vue de notre promotion céleste, mais encore pour notre vie ici-bas; et qu'elle s'incarne, ensuite, dans une vie de foi à chaque instant.

Le sang de Christ a une signification pour ma vie présente, lorsque j'ai péché et que j'ai perdu la paix intérieure. Mon rétablissement doit d'abord reposer sur la compréhension de ce que Christ a fait pour moi dans ce domaine, puis sur une permanente mise en pratique de ce savoir. Ce processus n'est pas automatique; il s'agit d'intégrer la signification de l'œuvre de Christ - oeuvre parfaite accomplie dans l'histoire, fondement de notre foi - dans nos vies présentes de manière consciente.

La parabole du fils prodigue racontée par Christ devrait nous réjouir profondément. C'est l'histoire d'un homme qui, bien que fils, s'est enfoncé dans la boue du péché. La Bible souligne bien la gravité de ses péchés, même selon les critères du monde. Et pourtant à son retour, il trouve un père qui l'attend, les bras ouverts. Le sang de Christ peut purifier le plus noir des péchés. Il n'y a pas de péché trop grand: notre communion avec Dieu peut toujours être rétablie, pourvu que nous ayons l'humilité d'appeler péché ce qui l'est et que, par la foi, nous placions ce péché précis sous le sang de Christ. Quand mon cœur m'accuse: "tu as recommencé", une fois de plus je crois Dieu quant à la valeur de l'œuvre parfaite de Jésus-Christ. Nous l'avons vu, il n'y a pas de résurrection possible, tant que la mort n'est pas intervenue. Mais en vertu de la victoire de Christ, la résurrection doit suivre la mort. La vie chrétienne ne s'arrête jamais à l'aspect négatif. L'aspect négatif est bien là, car l'homme est en révolte, mais l'aspect positif suit toujours. De même qu'un jour mon corps ressuscitera des morts, de même je suis appelé à vivre dès maintenant une vie de résurrection.

Pour un nouveau converti, le fait de courber la tête et de dire "merci" au Dieu vivant, "merci pour cette oeuvre parfaite", se révèle extrêmement bénéfique, selon mon expérience. Sans doute des hommes ont été sauvés sans exprimer leur reconnaissance; mais lorsqu'on a compris son état d'homme pécheur et perdu, il est merveilleux, après avoir accepté Christ comme son Sauveur, de courber la tête et de remercier Dieu pour une oeuvre aussi totale et parfaite. En général, c'est par ce "merci" que le nouveau converti acquiert l'assurance de son salut, qu'il trouve le repos dans la certitude et la paix.

La restauration se montre là encore parallèle à la conversion. Après avoir placé notre péché précis sous l'efficacité de l'œuvre parfaite de Christ, il est merveilleux de dire consciemment: "Merci Seigneur, pour une oeuvre aussi parfaite". Remercier n'est pas nécessaire à notre restauration, mais cela nous procure certitude et paix. Nous disons merci pour l'œuvre de la croix, une oeuvre pleinement achevée et pleinement suffisante pour nous faire retrouver une totale communion avec Dieu. Nos sentiments n'y sont pour rien, aussi bien pour notre restauration que pour notre justification. L'une comme l'autre repose sur l'œuvre parfaite de Christ accomplie dans l'histoire, et sur les promesses objectives de la Parole de Dieu. Si nous croyons Dieu et ce qu'il nous enseigne sur l'efficacité de l'œuvre de Christ, nous pouvons avoir toute assurance, quelle que soit la gravité de notre faute. Tel est le sens chrétien de la libération de l'esclavage que peut nous imposer notre conscience.

Dans son commentaire sur l'Epître aux Galates, Martin Luther discerne très bien que notre salut inclut la libération de notre conscience. Il est tout à fait normal qu'après la conversion, notre conscience devienne plus sensible. C'est un effet de l'œuvre du Saint-Esprit. Toutefois, je ne dois pas me laisser accabler par ma conscience, année après année, pour mes péchés passés. Dès que ma conscience, sous l'action de l'Esprit Saint, me montre un péché précis, j'appelle ce péché par son nom et je le place de manière consciente sous le sang de Christ. Dans ma vie de communion avec Dieu, je déshonore l'œuvre parfaite de Christ en continuant de me tourmenter pour un péché déjà couvert. Ce tourment continuel fait outrage à la valeur infinie de la mort du Fils de Dieu. Ma communion avec Dieu a été rétablie.

Il se peut, certes, que j'aie des comptes à régler vis-à-vis de la loi à cause de mes péchés. Je peux avoir nui à autrui, et mon devoir est de réparer le tort commis. Toutes ces choses sont à régler. Nous en reparlerons en temps voulu. Mais en ce qui concerne ma relation avec le Père, Dieu lui-même la déclare rétablie sur la base de la valeur du sang de Jésus-Christ. Et si ce sang est assez efficace pour conduire un pécheur rebelle du royaume des ténèbres au royaume du Fils bien-aimé de Dieu lors de la justification, ne peut-il pas couvrir un péché aussi noir qu'il soit?

Lorsque je remercie Dieu de manière consciente pour l'œuvre parfaite accomplie à la croix, ma conscience trouve du repos.

Je me suis toujours représenté ma conscience comme un gros chien noir aux pattes énormes qui bondit sur moi, cherche à me couvrir de boue et menace de me dévorer. Mais si cette conscience m'agresse et me reproche un péché déjà réglé en vertu de l'œuvre parfaite de Christ, je lui fais résolument face et je lui ordonne: "Tais-toi, reste couchée!" Ma communion avec Dieu a été rétablie de façon surnaturelle. Je suis purifié, prêt à poursuivre ma vie chrétienne, et prêt à être utilisé par le Saint-Esprit pour le combat. Le Saint-Esprit ne peut pas se servir de moi tant que je ne suis pas purifié, mais une fois lavé de mon péché, je suis prêt. Et sur la base de l'œuvre de Christ je peux revenir pour être purifié aussi souvent que nécessaire.

C'est là que la réalité de la vie chrétienne devient tangible. Nous nous débattons tous avec le problème de la réalité, et recourons parfois à d'étranges extrêmes pour y parvenir, mais en voici la clé: "Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez point." Nous avons donc reçu un appel à ne pas pécher. "Et si quelqu'un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste." (1 Jean 2:1)

Pour moi, la réalité consiste à m'appuyer, par la foi, sur le sang de Christ et non à m'efforcer de mener une vie parfaite, comme si la Bible l'enseignait. Le perfectionnisme n'est pas la clé de la réalité; il ne conduit qu'au subterfuge ou au désespoir. Mais le pardon de mes péchés, la certitude que je suis pardonné de chaque péché placé sous le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, la restauration de la communion, voilà des réalités. La réalité n'est pas seulement une question de foi, bien que ce que nous croyons soit important. La réalité doit être également vécue, expérimentée sur la base d'une communion rétablie avec Dieu, grâce à l'œuvre parfaite du Seigneur sur la croix.

A ce sujet ajoutons encore: "Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais quand nous sommes jugés, nous sommes châtiés par le Seigneur, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde." (1 Corinthiens 11:31-32)

Selon ce verset, nous n'avons pas besoin d'attendre le châtiment pour retrouver la communion avec Dieu. La discipline de Dieu n'est pas une punition. La punition a été subie entièrement à la croix du Calvaire: il n'y a pas de double condamnation quand nous avons à faire au Dieu Saint comme juge. Notre culpabilité a disparu une fois pour toute; le châtiment imposé à l'enfant de Dieu n'a pas un caractère de punition. Dieu nous châtie dans le but de restaurer notre communion avec lui, et ne le fait qu'en cas de nécessité.

Nous pourrions, en fait, lire ces deux versets en sens inverse: Comme Dieu ne nous condamnera pas avec le monde, il nous châtie. Mais si nous nous jugeons nous-mêmes, si nous appelons le péché par son nom et le plaçons sous le sang du Seigneur Jésus-Christ, il ne nous châtiera pas. C'est ce à quoi Paul nous incite. Il est bien préférable de ne pas pécher. Mais lorsque nous péchons, n'est-il pas merveilleux de pouvoir aussitôt retrouver la communion avec Dieu?

La libération de cette fausse tyrannie de la conscience est l'un des dons que Dieu veut nous accorder ici-bas. La plupart des chrétiens, sinon tous, expérimentent que leur guérison ici-bas commence avec la guérison de leur déchirure intérieure provoquée par la Chute et le péché. L'homme est d'abord séparé de Dieu, puis de lui-même et, enfin, de ses semblables et de la nature. Le sang du Seigneur rétablira tous ces liens de manière totale et parfaite lors du retour de Jésus. Mais déjà maintenant il peut y avoir une guérison substantielle, en particulier des séquelles laissées par la séparation de l'homme d'avec lui-même. C'est le premier pas vers notre affranchissement des conséquences de l'esclavage du péché dans la vie présente.