Marie - Servante du Seigneur

par Henri Gras

Partie II. Les apports ultérieurs du Magistère

«II existe un rapport vital entre la tradition, l'Ecriture et le Magistère. Si l'Ecriture est la révélation que porte la tradition, si toutes deux sont la règle du Magistère, celui-ci interprète l'Ecriture et témoigne de la tradition. Sans cette unité profonde qui les rend absolument solidaires, l'Ecriture risquerait d'être lettre morte, la tradition choix discutable, et le Magistère ingérence arbitraire de l'homme dans les mystères de Dieu.»
La foi catholique, extrait de l'introduction par Gervais Dumeige

Chapitre 7. Le Magistère et les étapes d'évolution de l'Eglise

Le Magistère, autorité doctrinale s'imposant de façon absolue, est une synthèse de l'Ecriture qu'il interprète, et de la tradition dont il témoigne, ceci bien sûr, pour ceux qui l'acceptent. Par lui, au cours des siècles, les révélations bibliques initiales ont été assorties d'apports nombreux et variés. C'est notamment le cas pour l'Eglise catholique romaine, qui étaie sa foi au contenu évolutif, sur trois piliers: l'Ecriture, la tradition et le Magistère. L'interaction de ces éléments aboutit à des doctrines religieuses qui présentent une grande souplesse d'adaptation aux civilisations et aux circonstances.

Au sein du catholicisme romain, le Magistère est promulgué et explicité de plusieurs façons:

Par voie extraordinaire:

– Un concile oecuménique, réunissant tous les évêques du monde autour du pape, peut établir des définitions ou condamnations à caractère de «doctrine révélée» infaillible et irréformable.

– Le souverain pontife, s'exprimant «ex cathedra», peut promulguer des dogmes concernant la foi ou les mœurs. Le croyant doit se soumettre totalement à ces définitions tenues pour infaillibles et irréformables.

Par voie ordinaire:

– Lorsque l'ensemble des évêques, en accord avec le pape, sont unanimes à enseigner une doctrine, ils ont la possibilité de proposer le contenu de celle-ci comme «vérité révélée».

– Le souverain pontife émet également des encycliques, écrits dans lesquels sont rappelés des points d'enseignement, réaffirmés des aspects de la foi, proposées des positions théologiques, énoncées des assertions doctrinales. Ces documents, bien que non considérés infaillibles, mais susceptibles de révisions, méritent de la part des fidèles attention et respect.

Par voie d'usage prolongé:

– Certains documents, émis par un synode local, peuvent avoir été adoptés depuis longtemps de façon universelle ou avoir bénéficié, dans le passé, de la caution papale. Universellement pratiqués, ils deviennent progressivement normatifs et prennent, de ce fait, force de loi.

Pour situer dans le temps les apports successifs du Magistère concernant la vierge Marie, il paraît opportun de dégager succinctement les grandes étapes d'évolution de l'Eglise chrétienne, depuis son origine à la Pentecôte, jusqu'à nos jours.

1. L'Eglise apostolique et martyre (30–313):

Rayonnant à partir de Jérusalem, l'Eglise primitive s'étend à tout l'Empire romain grâce au ministère des apôtres, notamment: Pierre, Paul et Jean. Très vite commencent de grandes épreuves : persécutions venues de l'extérieur (Juifs et Romains), hérésies et formalisme qui se développent à l'intérieur. Ignace d'Antioche, mort martyr à Rome en 115, instaure la primauté des évêques sur les «anciens» et commence à qualifier de «catholiques» (ou universels) les chrétiens fidèles, par opposition aux hérétiques et aux schismatiques. Vers l'an 200, l'évêque de Rome émet ses premières prétentions. L'autorité cléricale se renforce.

2. L'Eglise associée au pouvoir d'Etat (313-1054):

L'empereur romain Constantin se convertit à la religion chrétienne en 313. Il la fait adopter à tout l'Empire comme religion d'Etat.

L'Eglise, dès lors unie au pouvoir, cesse d'être persécutée. Au contraire, elle s'ouvre à la multitude, désireuse de s'attirer la faveur des autorités. Ce contexte est favorable aux accommodements et aux compromis en matière de foi et de doctrine. Parallèlement, divers courants théologiques et controverses se font jour. L'évêque de Rome prend le titre de «souverain pontife». Le premier concile oecuménique se réunit à Nicée en 325.

Jérôme traduit la Bible en latin (Vulgate). Les bouleversements du Moyen-Age accentuent les particularités religieuses. De fait, de nombreux sujets de désaccord opposent l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Occident. Ce conflit greco-latin aboutit au schisme d'Orient, consommé en 1054 entre le patriarche de Constantinople Michel Cerularius et le pape romain Léon IX. Orthodoxes et catholiques sont désormais séparés.

3. Entre le schisme d'Orient et la Réforme (1054-1517):

La papauté organise et hiérarchise l'Eglise d'Occident (catholique). Elle consolide son autorité. L'Europe entière est gagnée au christianisme. Les papes organisent des croisades pour reprendre aux Turcs musulmans les lieux saints de Jérusalem, dont ces derniers se sont emparés.

Les premiers ordres religieux apparaissent. La dévotion à Marie, née dans le courant du IVe siècle après l'association de l'Eglise au pouvoir d'Etat, se développe. Les sacrements, jusque-là mal définis, sont codifiés. Au sein de l'Eglise d'Orient (orthodoxe) naît et croît l'Eglise russe. Elle s'émancipe, puis échappe à l'autorité de Constantinople (1448).

En Occident, Cathares et Vaudois s'opposent aux doctrines catholiques, Rome y répond par l'Inquisition. Des cardinaux nomment un «antipape» qui siège trente ans en Avignon. Des pontifes indignes se succèdent à Rome. Ils soulèvent des protestations rapidement étouffées par l'Inquisition. Le dominicain Savonarole s'élève contre la corruption du clergé. Ce dernier le dénonce comme antichrist. On le brûle vif en 1498. Avant lui s'étaient déjà manifestés les précurseurs de la Réforme: Wyclif et Jean Hus notamment.

4. De la Réforme au Concile Vatican II (1517–1962):

L'invention de l'imprimerie par Gutenberg en 1450, a permis une large diffusion de la Bible. Sa lecture, et les réactions que suscite la corruption qui se développe au sein du clergé, sont les causes essentielles de la Réforme. Le moine allemand Luther, en particulier, s'insurge (1517) et rompt avec le pape Léon X (1520). Il fonde l'Eglise luthérienne. La Réforme s'étend en France (Calvin), en Suisse (Farel et Zwingli), en Pologne (Laski), en Ecosse (Knox)...

En Angleterre, le roi Henri Vlll rompt avec le pape et fonde l'Eglise anglicane. Ces différentes Eglises, affranchies du pouvoir papal, constituent le protestantisme. L'Eglise catholique romaine réagit. Le Concile de Trente (1545–1563) précise la confession de foi et lance la Contre-Réforme. Ignace de Loyola, gentilhomme converti au catholiscisme, fonde l'ordre des Jésuites (1534). L'Inquisition reprend contre les «hérétiques». Le massacre de la Saint-Barthélemy (1572) décime les protestants de Paris et des grandes villes de France. Il ouvre l'ère des guerres de religion avec ses combats fratricides, ses terribles exécutions, ses émigrations, ses tortures, ses incarcérations inhumaines...

L'Edit de Nantes (1598) garantit la liberté de conscience et met temporairement fin à ces sanglants désordres. Mais le roi Louis XIV le révoque en 1685 et aussitôt le conflit s'enflamme de nouveau en France. L'Edit de Tolérance promulgué par Louis XVI (1787) y met enfin un terme.

L'ère des révolutions et du rationalisme en Europe est aussi celle de l'affaiblissement de la foi, tant au sein du catholicisme que du protestantisme. En contre-partie, des réveils évangéliques se manifestent à partir de 1750 en réaction au rationalisme: les Moraves (Zinzendorf), les Méthodistes (Wesley)... Des revivalistes se succèdent: Neff, Vinet, Spurgeon... L'Armée du Salut est fondée. L'évangélisation du monde, parallèlement par les catholiques et les protestants, prend son essor.

Des apparitions de la vierge se produiraient en divers lieux qui deviennent rapidement des centres mondiaux de pèlerinage. D'importants apports sont effectués dans le domaine marial (Immaculée Conception - Assomption).

Dans le monde protestant, de multiples mouvements religieux résultant de scissions, voient le jour: Mormons, Adventistes, Témoins de Jéhovah, Science Chrétienne... Ils sont tout de suite considérés comme des sectes en raison de leurs interprétations particulières.

De nombreux théologiens échafaudent des doctrines contraires à l'Ecriture. Enfin, à partir de 1910 naissent au sein du christianisme des tentatives de fusion, fédérations, oecuménisme, syncrétisme.

5. Période actuelle (1962-*):

Le Concile Vatican II (1962–1965) précise le pouvoir collégial des évêques dans la subordination au pape. Il adopte l'usage des langues vulgaires pour les offices religieux au détriment du latin, et proclame le principe de la liberté religieuse. A l'intolérance succède «l'ouverture aux frères séparés». La lecture de la Bible se généralise. Le catholicisme est traversé par deux courants antagonistes: réformisme et intégrisme. L'Eglise de France prend quelques distances vis-à-vis du Vatican. Les papes Paul VI et surtout Jean-Paul II remettent en honneur la dévotion mariale, l'enrichissent et lui donnent vigueur.

Chez les protestants, les Eglises historiques issues de la Réforme se veulent, pour la plupart, «ouvertes au monde». Le néo-libéralisme, les préoccupations sociales et politiques, les pénètrent. Elles régressent peu à peu. Les assemblées et les mouvements évangéliques de leur côté, se diversifient et s'accroissent, notamment les pentecôtistes. Des réveils interviennent en Indonésie, en Corée, en Afrique noire; et dans les pays de l'Est européen, malgré les dures épreuves qu'y connaît «l'Eglise du silence».

Oecuménisme et syncrétisme se développent tous azimuts, en vue de l'unité. De nombreuses sectes voient le jour. Les tendances charismatiques se manifeste au sein des principales dénominations chrétiennes.