Retrouver son âme aux objets perdus…...

Ils craignent la mort plus que tout, sans voir qu’il y a une chose plus redoutable encore: une vie sans amour.
- Christian Bobin. Le Christ aux coquelicots.

Et que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perdait son âme ?
- Matthieu 16:26

Dans mes jeunes années, entendez par là jusqu’à ce que je dépasse la quarantaine, j’étais un redoutable « perdeur » d’objets divers et variés. Mes amis aimaient dire, avec gentillesse, que si je touchais dix centimes par objet perdu au cours de ma vie, je serais millionnaire, au minimum. Des clés, des parapluies, des montres — pas suisses, heureusement — des portefeuilles, des sacs à dos, des lunettes de soleil, des couteaux de poche, une combinaison de plongée, des stylos-plume, je crois même qu’il y a une guitare douze cordes et un ordinateur portable dans le lot…

Ce n’est pourtant pas une activité que je planifiais ! je détestais le sentiment intensément désagréable qui accompagnait la prise de conscience de la perte, mais je n’arrivais pas à éviter le piège.

etrouver son âme aux objets perdus - Personne au bord de l'eau avec une Bible

La cause était pourtant simple, je vivais ailleurs. Ailleurs, ne signifie pas dans un autre pays ou continent, encore moins sur une autre planète, mais ailleurs que là où je me trouvais physiquement, perdu dans mes pensées, mes débats internes, mes rêveries diraient certains. Perdu « à l’intérieur », j’en oubliais les réalités élémentaires de la vie physique.

Le contraire existe aussi, je dirais même que c’est le mode par défaut de la grande majorité des humains: ils fonctionnent à « l’extérieur » de leur existence ; ils s’orientent avec la boussole du « faire », mesurent avec le mètre du « paraitre » et vérifient l’aplomb de leur vie à l’aide du fil à plomb du « qu’en-dira-t-on ».

Concentrés sur cet « extérieur » bouillonnant d’activités, ils ne s’aperçoivent pas que leur âme se languit, seule et abandonnée sur une étagère, au service des objets trouvés. Ses cris étouffés ne sont même plus perceptibles.

« Croire » en Dieu n’immunise pas contre cette dérive. Nous n’avons pas perdu la foi, mais nous avons perdu le contact expérimental avec notre vie intérieure. Nous sommes dans le « faire », nous vivons en pilotage automatique.

Heureusement, sous la cendre, le feu n’est pas éteint. Comme le dit si joliment la Belle1 du Cantique des Cantiques, je dormais, mais mon cœur veillait… Nous avions perdu notre âme, mais pas pour l’éternité, seulement pour quelques — trop longues — journées, en espérant qu’il ne s’agit pas de mois ou pire, d’années…

Pour tous les distraits qui se retrouvent dans ces lignes et ne savent que trop bien le temps perdu, lorsque notre âme l’est aussi, il y a tout de même une bonne nouvelle: Le Fils de l’Homme est venu chercher et récupérer ce qui était perdu2. Sa promesse ne concerne pas seulement la vie de l’autre côté de la vie, mais aussi, cette vie, celle que nous vivons — si nous sommes vivants — jour après jour.

Laissons-le nous trouver, nous retrouver, autant de fois que nécessaire, filles et fils prodigues ingrats et distraits que nous sommes.

Il nous attend, nous guette, nous appelle, si l’absence se prolonge. Il vient même à notre recherche. Il frappe aux portes, les portes des âmes perdues et jamais ne se lasse dans sa quête amoureuse, il est capable d’aller jusqu’aux sous-sols des enfers pour en retrouver ne serait-ce qu’une seule.

Il me reste un dernier conseil pour tous les oublieux. Si comme moi, vous êtes lassés de ces pertes à répétition, sachez que la meilleure façon de ne plus perdre quelque chose, c’est de le confier à une personne soigneuse, sérieuse, digne de confiance afin qu’elle en prenne soin à votre place ; seulement, ce n’est pas une action unique, c’est une requête à renouveler chaque matin, chaque midi, chaque soir, et parfois même aux pauses de mi-journée. 
Et qui serait mieux placé pour être le dépositaire de notre âme que celui qui a déclaré: « Si vous gardez vous-même votre vie, vous la perdrez, mais si vous me la confiez, vous la trouverez »3.

Il ne nous reste plus qu’à nous poser la question: « mais où ai-je bien pu mettre mon âme ? » Si elle n’est pas là, présente en vous, éveillée et palpitante, rendez-vous vite aux objets perdus. Ne prenez pas de risque ! Allez-y accompagné, celui que la mort et une porte de pierre n’ont pas pu arrêter me parait tout indiqué. Si par oubli ou méchanceté la porte des objets était verrouillée, il saurait précisément comment la faire sauter.
 
Signé: Un perdeur rassuré d’avoir été retrouvé…

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1 Cantique des cantiques 5:2
2 Luc 19:10
3 Matthieu 16:25

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