Fille du roi de la mer

Chapitre 5: LE PRINTEMPS EST REVENU

Voila les cigognes! cria Helga. Le printemps est revenu!

Helga et Thierry étaient perchés dans le grand sapin et s'amusaient à se laisser balancer par le vent qui agitait les branches. Tous deux avaient été gravement malades à la suite de leur équipée. Thierry, qui s'était dépouillé de sa peau de loup pour couvrir Helga, dans cette glaciale nuit de Noël, avait failli mourir. La convalescence avait été longue. Mais ils avaient, l'un et l'autre, fini par retrouver leurs forces et, aujourd'hui, ils avaient réussi à escalader ensemble le grand sapin.

La fille farouche et orgueilleuse paraissait être restée sur l'îlot rocheux. C'est une nouvelle Helga qui, après des mois de maladie, s'était relevée de sa couche de peaux de bêtes pour reprendre sa place dans la maison. A vrai dire, Olaf et Astrid n'avaient pas été frappés autant que Thierry du changement qui s'était accompli dans leur fille. Ils mettaient cela sur le compte de la maladie et de la faiblesse physique, persuadés qu'Helga, en reprenant des forces. redeviendrait la fille sauvage et violente qu'elle était auparavant.

Nous n'oserions pas affirmer, pourtant, qu'Helga était devenue subitement un ange de douceur; son caractère reparaissait par moments, et sa violence naturelle reprenait alors le dessus. Cependant, Thierry ne s'y trompait pas: Helga n'était plus la même. Sur l'îlot, la nuit de Noël, elle avait accepté Jésus-Christ pour son Sauveur. Elle avait abandonné les faux dieux. Et, depuis lors, elle ne traitait plus Thierry en esclave, mais en ami.

Thierry regarda le couple de cigognes qui décrivait des cercles au-dessus de la maison. – Les drakkars vont bientôt repartir! dit Helga, très excitée.

Thierry ne répondit rien. L'arrivée des drakkars, cela signifiait, pour son pays, de nouveaux massacres, de nouveaux pillages... Il se demanda s'il devait parler de cela à Helga, éveiller sa conscience à ce sujet... Depuis l'enfance, elle était habituée à voir chaque année son père partir en expédition avec ses guerriers et revenir à l'automne avec ses drakkars chargés de butin... Dans ce pays pauvre, on comptait pour vivre en hiver sur le blé, les bestiaux, les provisions, rapportés des expéditions guerrières. Helga trouvait cela tout naturel et n'envisageait pas qu'il pût en être autrement. Il se demanda s'il avait le droit de lui créer des remords pour une chose qu'elle ne pouvait empêcher...

Helga était devenue songeuse. Elle paraissait soutenir un combat.
– Thierry, dit-elle enfin, aimerais-tu revoir ton pays? De saisissement, Thierry faillit lâcher la branche et dégringoler.
– Peux-tu le demander, Helga? dit-il enfin d'une voix étranglée.

Helga venait d'apercevoir son père qui sortait de la maison. Très vite, avant d'avoir perdu son courage, elle dégringola du sapin et courut vers Olaf.
– Père, dit-elle d'une voix frémissante, quand tu repartiras au pays des Francs, je voudrais que tu emmènes Thierry...

Olaf regarda sa fille avec stupeur, sans comprendre. Mais elle supplia:
– Père, je t'en prie, accorde-moi sa liberté! Il m'a sauvé la vie... Ramène-le dans son pays!

C'était un grand sacrifice qu'elle faisait là, car elle s'était profondément attachée à Thierry.

Olaf fronça les sourcils.
– Je veux bien l'affranchir, si tu y tiens, dit-il. Mais je ne vois pas pourquoi je le ramènerais au pays des Francs! Je croyais que tu tenais à ce garçon...
– J'ai beaucoup d'amitié pour Thierry, dit Helga. Mais il est malheureux loin de son pays. Thierry était à son tour descendu du sapin. Olaf regarda un moment le beau garçon qui se tenait à quelques pas de sa fille. Il songea qu'il allait partir pour tout l'été, avec ses guerriers, et que cet esclave resterait auprès d'Helga, cet esclave auquel sa fille s'était vraiment trop attachée... Oui, il était plus sage d'éloigner Thierry. D'ailleurs, Helga allait être d'âge à se marier.
– C'est entendu, dit-il, Thierry sera libre. Et il retournera dans son pays. Et quand je reviendrai, à l'automne, tu épouseras Eric.