Pavel 8 - Quelle soirée !

- A table! a dit joyeusement la jeune mère de famille.
Ses deux enfants sont très contents. Quand on a des visites, les repas sont encore meilleurs. Mais c'est la fête surtout pour nos deux anciens détenus! Etre reçus par des chrétiens, quel cadeau! On les accueille en toute simplicité, mais avec un coeur grand ouvert. Puisqu'ils sont chrétiens, ne sont-ils pas des frères?
Que de choses ils peuvent raconter tout en mangeant: la vie de prisonniers, le jour inattendu de leur libération, les étapes du long voyage à pied.
- Mais dites-nous... demande le chef de famille à la fin du repas, comment avez-vous rencontré Dieu? Il n'en faut pas plus pour que Pavel se lance dans un long récit:
- Un jour, avec la bande, nous avons capturé deux voyageurs. Je les vois encore nous supplier de leur laisser la vie. Mais nous sommes restés sourds à leurs appels. Nous étions si durs, sans coeur! Dans leur sac, j'ai trouvé un Nouveau Testament. Je l'ai pris. En secret, je me suis mis à le lire. Ce fut le point de départ d'une nouvelle vie pour moi...

La grande pendule a beau sonner douze coups, personne n'y prend garde. Qui penserait à dormir? On est si bien près de la cheminée où crépite le feu de bois. Et le récit continue d'être si captivant...
- C'est ainsi que nous sommes arrivés chez vous! dit Pavel pour conclure. Vous voyez, Dieu a été merveilleux pour nous. Jamais nous ne saurons assez le remercier. Très simplement, avec toute la famille, les deux anciens détenus se mettent à genoux pour louer Dieu de tout leur coeur.
- Et maintenant, demande ensuite la maîtresse de maison, quelle sera votre prochaine étape?
- Ce sera encore long, mais nous pensons retourner à notre village natal.
- Vous y avez de la famille?
- Moi, oui! répond Soloviev. Ma mère vit dans le district de Kiev. Je me réjouis de la retrouver.
- Et vous, Pavel?
- Moi... je n'ai plus personne! J'aimerais pourtant retourner à Sosnowka. Il faut que je dise à mes compatriotes ce que Jésus a fait pour moi, et ce qu'il pourrait faire pour eux. Ils ont aussi le droit de connaître l'Evangile.
- Y a-t-il longtemps que vous êtes orphelin? questionne encore la jeune femme, très émue.
- Oh, oui! répond Pavel en soupirant. Depuis l'âge de huit ans. Nous étions en voyage quand j'ai perdu mes parents. Nous partions pour la lointaine Sibérie. Après des semaines de voyage, dans le train mon père est tombé malade. C'était le choléra. On a dû descendre à la prochaine gare. Il est mort peu après, suivi de notre mère, deux jours plus tard! On est restés tout seuls, ma soeur et moi!
La jeune mère de famille est devenue toute pâle. Jamais son mari ne l'a vue pareillement bouleversée.
- Le lendemain, poursuit Pavel, j'ai été séparé de ma soeur. On l'a placée dans un orphelinat de filles. On m'a mis ailleurs, dans un baraquement de garçons. C'était très dur. J'ai réussi à m'enfuir. Mais de ma soeur Choura, je n'ai plus jamais rien su.

Blanche comme un linge, la jeune femme dit soudain d'une voix étranglée:
- Je suis Choura, je suis ta sceur!
- ... Chou... ma soeur!

Après un moment de très grande stupeur, Pavel et Choura se jettent dans les bras l'un de l'autre. Après vingt années de séparation, alors que personne ne pouvait s'y attendre, ils viennent de se retrouver! Les larmes d'émotion se changent en larmes de joie.
- Mon petit frère! mon cher petit frère! répète Choura en serrant Pavel dans ses bras.

Que d'émotions depuis quelques heures, dans cette maison paisible! A présent, c'est Choura qui doit raconter:
- Après notre séparation, je suis restée plusieurs mois dans le baraquement des filles. Puis est venu un hiver terrible. Mal nourries, certaines orphelines sont mortes de froid! De braves gens de la contrée ont adopté celles qui restaient. Moi, je suis arrivée chez Dounia. C'était une pauvre veuve, mère de quatre enfants. Mais elle était chrétienne. Elle nous lisait la Bible. Elle priait avec nous. J'avais quatorze ans quand Jésus est réellement devenu mon Sauveur. Au bout de quatre ans, j'ai fait partie d'une chorale. Un jour, dans une autre ville où nous avions chanté, un jeune comptable est devenu chrétien. Un an plus tard, il était mon mari. Et Dieu nous a donné ces deux beaux enfants..
- Chère Choura! Quand nous étions seuls, juste après le départ de nos parents, tu m'as dit: «Dieu ne nous abandonnera pas!» Malgré tout, tu avais raison!
Pavel va-t-il poursuivre son chemin? Reverra-t-il son village? Pourra-t-il y parler de l'Evangile?
- Ecoute, Pavel, propose sa soeur Choura, puisque tu souhaites tant retourner à Sosnowka, je vais t'accompagner.
- Mais... et vos deux enfants?
- Ici, mon mari s'occupera du plus jeune. Moi, j'emmènerai sa soeur.
- Et je ferai le voyage avec vous jusqu'à Kiev! ajoute Soloviev, le compagnon de Pavel.

Trois jours plus tard, deux anciens détenus montent dans le train, accompagnés d'une jeune femme et de sa fillette. Le voyage sera long. Saratow, Penza, Voronèje... les gares se succèdent. Voici encore Koursk, puis Kiev.

Soloviev quitte le groupe. Ah, qu'il est impatient de revoir sa mère! Enfin le train atteint Sosnowka. Pavel et Choura sont heureux d'y retrouver quelques parents éloignés.
- Quel bonheur de vous revoir! Depuis votre départ en famille, on vous croyait tous disparus pour toujours. Mais que s'est-il passé pour vous durant toutes ces années?

Pavel raconte... il ne manque pas de dire comment Dieu est entré dans sa vie. Informés du retour de Pavel et de Choura, d'anciens amis tiennent à les revoir. Chaque soir ils se réunissent dans une autre maison. A leur tour, plusieurs personnes deviennent aussi chrétiennes. La nouvelle se répand très vite. Mais elle ne plaît pas à tout le monde...
- Quoi? Un ancien détenu se permet de parler de Dieu? Il ébranle les bases de la religion et de l'Etat! Vite, il faut prévenir la police!

Texte: Samuel Grandjean