Jeannot chez les bagnards - 13

Etrange disparition

Le paysage devient vite monotone après quelques jours de navigation. De tous côtés, c'est le ciel qui descend jusqu'à l'Océan, et l'Océan qui monte jusqu'au ciel.

Mais quand il fait beau, les passagers admirent le lever et le coucher du soleil: une boule de feu qui sort de l'eau ou qui s'y plonge.

Etienne aime rester près de sa maman, mais Jeannot s'intéresse à tout. Aussi entreprend-il avec son papa de vraies promenades sur le paquebot. Que de questions naissent dans le cerveau de l'enfant!

– Dis, papa, tu crois que c'est profond, ici?
– Oh certainement! Il y a peut-être quatre mille mètres de profondeur.
– Ah! ... et tu crois qu'on pourra voir de gros poissons? Oh! regarde cette grande corde enroulée là... c'est peut-être pour attraper les baleines!

Un matin, plusieurs passagers scrutent l'horizon avec des jumelles. On y voit un petit point noir sous un peu de fumée. Un navire! On va le croiser. Lentement il se rapproche. Ses sirènes appellent pour saluer. Celles du paquebot répondent, tandis qu'au mât principal on hisse le pavillon tricolore.

Maintenant, les deux navires sont à la même hauteur, à quelques centaines de mètres seulement. Alors tous les passagers font de grands signes, agitent leur mouchoir, et là-bas... ils répondent. Quelle fête. Mais dans le coeur du missionnaire, il y a de la tristesse: sur cet autre navire, même s'il ne s'agit pas du Lamartinière, il y a sûrement quelques hommes qui ne peuvent pas faire signe, étant dans des cellules, en route pour l'horrible bagne du désespoir...

Le lendemain, Jeannot et son papa sont de nouveau sur le pont.
– Est-ce que je peux vous poser une question? demande un marin. L'autre jour, Jean lui a déjà parlé de la Bible.
- Bien volontiers! répond le père de famille qui se tourne aussitôt vers l'enfant: Tu restes ici, Jeannot! tout près de moi, bien tranquille avec tes jouets!

Et la conversation s'engage, intéressante.

Au bout de quelques minutes, tout en parlant, Jean cherche de la main celle du bambin. Mais... non ! ce n'est pas possible... Jeannot a disparu! Où faut-il le chercher? D'un côté, le pont longe toute une série de cabines. De l'autre, une passerelle donne accès au pont supérieur. Ici, c'est une porte qui s'ouvre sur les cuisines, là un étroit passage conduit dans les soutes.
- Jeannot... Jeannot... appelle le père inquiet.

Des passagers accourent et font leurs commentaires. Aurait-il glissé derrière cette barrière, et serait-il tombé à la mer? On cherche l'enfant... on imagine tout ce qui a pu se passer! Au bout d'une demi-heure, toujours pas trace de Jeannot!

Les parents supplient Dieu. Les matelots poursuivent leurs recherches.
– Je descends par ici! dit Jean.

Il fait sombre, au bas de l'escalier qui conduit à la salle des machines. De gros tuyaux serpentent le long d'un couloir étouffant qui débouche sur une plate-forme limitée par une grille. Derrière cette protection, d'immenses bras d'acier reluisant de graisse montent et descendent dans un bruit assourdissant. Une passerelle grillagée fait le tour de ces colosses en constant mouvement. Jean s'y engage, inspectant tous les recoins.

Tout à coup, que voit-il dans la pénombre? Plaqué à la grille, un Jeannot très sérieux qui se croit pour un moment le grand maître des machines!

Quel soulagement quand le père apparaît sur le pont, tenant dans ses bras le gosse tout barbouillé et vraiment surpris par tant d'intérêt pour sa petite personne!

Pour arriver vers les machines, l'enfant n'avait pu emprunter qu'un seul chemin: un escalier de fer, dépourvu de barrière. Une perte d'équilibre, une glissade, et il risquait de se tuer!

Dieu est bon d'avoir protégé cet enfant. Mais Jeannot doit encore apprendre à obéir!

Texte: Samuel Grandjean