Jeannot chez les bagnards - 6

La décision de Namour

Maintenant que Jeannot commence à trottiner, ses cris de joie remplissent toute la maison. Mais les parents ne les entendent pas toujours, car les visites aux prisonniers prennent beaucoup de temps. Il ne faut pas être pressé quand on veut parler du Seigneur Jésus. Ainsi Lydie et Jean sont souvent loin de leur foyer et privés de Jeannot. Savez-vous qui est alors chargé de surveiller le petit garçon et d'en prendre soin? C'est Namour, un bagnard libéré que les missionnaires ont engagé pour divers travaux. Namour chérit Jeannot, ce bambin si confiant et qui sourit toujours, même quand un ancien meurtrier s'approche de lui.

Pauvre Namour. Il n'est pas méchant, mais terriblement faible à l'égard de l'alcool. C'est d'ailleurs ce qui l'a conduit au bagne. Quand on a bu, on s'excite vite, et les coups partent, si prompts. Ensuite, on se rend compte du mal qu'on a fait, mais c'est déjà trop tard: toute la justice est en branle, avec ses soupçons, ses enquêtes, ses arrestations, ses interrogatoires sans fin. On n'échappe plus, quand ces tenailles géantes se referment sur soi! Le passé aide souvent à comprendre bien des choses. La mère de Namour était une femme ivrogne capable de priver ses enfants de pain, pourvu qu'elle ait à boire. Il était encore petit, Namour, quand elle lui a fait goûter à l'alcool. Après des années de bagne, il est libre. Mais les tentations ne manquent pas, ici. A l'angle d'une ruelle, un autre "libéré" tient un petit bar crasseux où le rhum coule à flots.

Un soir, alors que les parents de Jeannot passent la veillée chez eux entourés de bagnards, soudain la porte s'ouvre. Namour entre, rouge de colère. A moitié ivre, il ne se contrôle plus. D'un geste, i1 appelle Lydie dans la pièce voisine pour lui confier un bien triste secret:
– Vous voyez cet homme qui se tient là, avec votre mari? Cette nuit... je le tue!

Dès que les hommes se dispersent, Jean et sa femme Lydie plaident avec Namour. Ils tentent de le dissuader. Mais...
– Laissez-moi faire, interrompt l'ancien bagnard. J'ai un compte à régler... Au revoir!
Et Namour disparaît dans la nuit.

Tandis que Jeannot dort paisiblement dans son petit lit de bois brut, les parents supplient Dieu d'intervenir. Que pourraient-ils faire de plus? Seul le Seigneur est capable d'arrêter un homme assoiffé de vengeance!

Pendant ce temps, Namour est entré dans une sombre taverne où quelques misérables tentent d'oublier leurs peines. A présent, il s'approche d'un Arabe...
– Dis! Tu veux de l'argent? Je te le donne tout de suite, mais écoute-moi bien! Tu vois celui qui passe dans la rue? Suis-le et débrouille-toi pour le supprimer cette nuit... Je voulais le tuer moi-même, mais je n'en ai plus le courage... Vas-y, toi! Je t'attends ici!

Le triste marché est conclu. L'individu s'en va...
Les heures passent, interminables. Mais au petit matin, l'Arabe rapporte l'argent:
– Moi non plus, je n'ai pas osé. Je ne sais vraiment pas pourquoi!

Dans la matinée, Namour rentre chez les missionnaires. Il leur raconte tout.
Lydie et Jean remercient Dieu en apprenant que le meurtre a été évité.

Mais Namour ne se sent plus digne de vivre dans ce foyer. Sa résolution est prise...
– Je m'en vais. Je suis trop mauvais pour rester chez vous!
– Pauvre Namour! Nous ne pouvons pas te retenir. Tu es libre. Mais nous t'aimions bien, tu sais... et Jeannot aussi!

– Oui, le gosse... si vous permettez, je veux lui dire adieu! Quand le bagnard se penche sur le lit de l'enfant, Jeannot reconnaît son vieil ami et lui tend ses petits bras potelés en poussant un cri de joie!
– Oh! Namou... Namou!

Cela suffit pour que le bagnard craque, fonde en larmes, et revienne sur sa décision:
– Pour cet enfant... je reste!

Texte: Samuel Grandjean