DES NUITS MOUVEMENTEES

Genovieva 25e épisode

Brusquement, Edidia est tirée de son sommeil. Ces petits coups, était-ce un rêve? Mais non... pas de doute: quelqu'un continue de frapper discrètement à la porte.

Edidia regarde sa montre: une heure du matin! Elle entre dans la chambre de ses parents pour réveiller son père. Le lit est vide.
– Ah oui, c'est vrai, il est au travail, cette nuit. Alors je réveille Maman!

Vite la mère de famille est debout. Elle commence par écouter à la porte.
– Qui est là? demande-t-elle à voix basse.
– Pace! répond une voix, tout doucement. Alors la clé tourne et la porte s'entrouvre, laissant entrer deux inconnues.
– Nous vous apportons des Bibles! disent-elles avec un bon accent anglais. Nous en avons mille dans notre minibus, au bout de la rue!
– Mille Bibles, quel trésor! Mais où mettre précieux stock? Ah, si mon mari était là, il saurait. En ce moment, il roule quelque part, dans sa locomotive. Attendez que je réfléchisse... Ecoutez! Venez tout doucement jusqu'ici avec votre véhicule, mais sans allumer les phares, pour ne pas attirer l'attention! Je vais ouvrir la porte de notre cour. Dès que vous serez entrées, je la refermerai et nous pourrons décharger rapidement!
Bientôt, en silence, cinq personnes font la chaîne. Les colis passent depuis le minibus, par l'escalier, jusque dans la chambre.
– Que Dieu soit avec vous! disent les deux courageuses chrétiennes, quand toutes les Bibles sont dans la maison. Puis elles remontent dans le minibus. Bientôt, le ronronnement du moteur disparaît dans la nuit.

En rentrant le matin, le père d'Edidia voit la chambre encombrée de colis.
– C'est fantastique, s'exclame-t-il, mais qu'allons-nous faire de toutes ces Bibles, à présent? Nous n'avons pas de voiture! Quel dommage que je n'aie pas été là. Avec ce véhicule nous serions partis tout de suite jusqu'à notre cachette, à trente kilomètres. Je sais... je vais téléphoner à Pavel, notre ami chrétien d'Oradea. Je suis sûr qu'il fera ce transport pour nous. Mais il faut que je lui parle très brièvement: les lignes téléphoniques sont écoutées! On pourrait nous repérer...
– Allo, Pavel! Viens dès que possible, pour mille!
– J'arrive!
C'est tout ce que les amis se sont dit. Mais à présent, Pavel parle à sa femme:
– Formidable. Ils ont reçu mille Bibles! Il faut que j'aille leur donner un coup de main pour les mettre en lieu sûr.
– Mille Bibles, c'est merveilleux! Mais une voiture ne suffit pas. On pourrait demander à Laura. Je suis sûre que cette voisine serait d'accord de t'accompagner avec sa voiture.
– Il faut lui parler...

Quelle imprudence, sans le vouloir! Cette Laura participe assez souvent aux réunions des croyants. Mais dans quel but? Pour suivre les enseignements de la Bible ou... pour espionner? Mille Bibles... vite, elle informe les services secrets. Cela ne l'empêchera pas d'accompagner Pavel. La nuit suivante, on charge 250 Bibles dans chacun des deux véhicules. Bientôt ils quittent la ville. Mais ils n'iront pas loin.

Soudain, un barrage de police les arrête pour contrôle. Les Bibles sont découvertes. Le chargernent est saisi! Pavel réussit à téléphoner au père d'Edidia:
– Nous n'avons plus rien! dit-il simplement, avant de raccrocher.
– Il ne faut pas perdre une minute! décide le père d'Edidia. Nous devons évacuer en vitesse les cinq cents autres Bibles! Cachons dans le piano toutes celles qui peuvent y entrer. Mettons les autres dans des sacs, et demandons à Mihai de venir sans retard avec sa fourgonnette. C'est un chrétien qui sait se débrouiller!

Quelques heures plus tard, à trente kilomètres de là, en pleine nuit, le véhicule de Mihai s'arrête au bord d'une rivière.
Le père d'Edidia retrousse ses pantalons, s'empare d'un sac et... traverse la rivière. Mihai fait de même, suivi d'Edidia qui a noué sa jupe au-dessus des genoux.

Bientôt tous les sacs sont sur l'autre berge. Dans la nuit, on les compte... Il en manque un! A tâtons, on le cherche. On le retrouve. Et maintenant, en route pour la dernière étape!

Enfin les douze sacs sont près de la cachette. Malgré l'obscurité, voyez-vous ces silhouettes noires, alignées comme de petites maisons? Ce sont des ruches d'abeilles. Quelques-unes sont vides. Cela va rendre service. Leur couvercle est soulevé. Et bientôt, dans ces ruches, la Parole de Dieu remplace les butineuses et le miel qu'on pourrait y trouver.

Quand le soleil paraît, les abeilles se remettent à bourdonner partout. Qui donc oserait venir contrôler le contenu de ces ruches? Pas de danger de ce côté-là!

Mais en fin de matinée, chez Edidia, des coups ébranlent la porte. Quatre agents de la Securitate sont là.
– Perquisition! disent-ils pour toute explication.
Et la fouille commence, systématique.
– C'est quoi, ce meuble noir? demande soudain l'un des inspecteurs. Sans le savoir, c'est vers le reste des Bibles qu'il pointe son doigt!
– Un vieux piano! répond calmement Edidia en s'approchant du meuble pour poser sur les touches quelques doigts bien tremblants. Vous voyez, ça fait de la musique... mais il est un peu enroué!

L'explication semble satisfaire l'agent. Peu après, bredouilles, les policiers s'en vont, persuadés que rien n'a pu échapper à leur sévère contrôle. Quel soulagement pour toute la famille!

Mais il y aura encore d'autres visites-surprise...

Quelques semaines plus tard, à trois heures du matin, dans la nuit du samedi au dimanche, de nouveau quelqu'un frappe doucement à la porte. Vite, il faut se lever, questionner prudemment avant de faire tourner la clé...

Un rassurant "Pace!" dissipe toute crainte. On peut ouvrir la porte. Quatre jeunes filles sont là, arrivées de la gare après douze heures de train,
– Genovieva, s'exclame Edidia en reconnaissant sa grande amie. Quelle surprise! Que fais-tu là?
– Comment vas-tu, Edidia? Tu vois, j'arrive avec trois coéquipières. Nous ne nous sommes pas annoncées... Excuse-moi! Mais nous nous sommes décidées au dernier moment. Et puis, tu le sais bien, ne rien écrire, ne rien promettre par téléphone, c'est le meilleur moyen d'éviter des ennuis avec la Securitate! Quel bonheur d'être enfin chez toi, Edidia! Tu sais, Dieu continue de nous bénir, avec les enfants. Nous pourrons peut-être parler de ce travail aux membres de ton église. Mais avant cela... pour quatre voyageuses qui meurent de fatigue, vous avez bien un petit coin, par terre, où elles pourront s'étendre et dormir quelques heures.

Quelle joie! Pour de telles visites, en Roumanie on se laisse volontiers réveiller, même au milieu de la nuit! Et quelle journée inoubliable les jeunes chrétiennes vont pouvoir vivre ensemble, ce beau dimanche d'été!

Texte: Samuel Grandjean