Le petit Tzigane

Genovieva 16e épisode

Dimanche après-midi, dans l'église d'Iasi. Comme d'habitude les enfants du choeur de Sion se sont réunis. Ils sont tous là, de six à seize ans, attentifs et zélés. Genovieva sait si bien les diriger. En ce moment, ils répètent un de leurs chants préférés. Quelles belles voix, et quel enthousiasme!

Mais soudain... presque tous les regards se détournent de Genovieva pour se diriger vers la porte. Que se passe-t-il? Genovieva se retourne... Le chant s'arrête au milieu du refrain! Il est là, paralysé par le silence et par tous ces regards qui s'arrêtent sur lui. Qui est-ce? Un enfant de neuf ans. Il passait par là. Il a entendu chanter. Intrigué, il a poussé la porte. Il a risqué un regard à l'intérieur. Alors... fasciné par ces voix, il est entré! Oh, qu'il est négligé! Regardez ces cheveux en broussaille, ce paletot râpé qui tombe sur ses épaules, et ces bottes trop grandes...

– Bonjour! dit gentiment Genovieva. Tu nous fais une petite visite? Assieds-toi, veux-tu? Mais comment t'appelles-tu?
– Iulian! répond l'enfant, comme pris en faute.

C'est un petit Tzigane, un du quartier voisin.
– Puisque tu viens nous voir, reprend Genovieva, nous allons chanter exprès pour toi. Ca te plaît? Et vous, vous êtes d'accord?
– Oui, oui! s'exclament tous les membres du chœur.
Quelle surprise pour Iulian! D'habitude, on le méprise, lui l'enfant des Tziganes! Il ne sait ni lire, ni écrire... Il ne va pas à l'école!
Mais ici, pense-t-il, on ne m'a pas chassé, on dirait qu'ils m'aiment... Ici, je reviendrai!
Deux jours plus tard, il revient en effet. Mais il est tout surpris.
– Ils sont où, tes enfants? demande-t-il à Genovieva qu'il trouve toute seule, cette fois.
– C'est le dimanche qu'ils viennent. Ici, c'est une église!
L'enfant n'a pas l'air de bien comprendre. Qu'importe!

Avec le temps, Iulian devient un précieux petit compagnon pour Genovieva. Ensemble, ils nettoient l'église, arrosent les fleurs, vont couper l'herbe du verger derrière le bâtiment. Mais, chose merveilleuse, avec Genovieva le petit Tzigane apprend à lire et même à écrire.
– Regarde Iulian! dit-elle un jour, en montrant à l'enfant un beau Nouveau Testament tout neuf...

– Encore quelques progrès, et je te le donnerai, promet Genovieva.
– A moi? s'étonne l'enfant.
– Oui, oui: tu pourras le prendre à la maison!
Quel stimulant pour le jeune Tzigane !

Parfois, Iulian assiste aux réunions de l'église. Il est toujours au premier rang.
– Qui voudrait aujourd'hui que Jésus devienne son Sauveur? dit un jour le pasteur.
Iulian est le premier à répondre. C'est sérieux pour lui. Maintenant, il peut, lui aussi, entrer dans la chorale. Qu'il est heureux! Et puis... il sait lire, à présent. Ses parents en sont très fiers. Et Genovieva n'a pas oublié sa promesse. Quel bonheur pour l'enfant quand il rentre avec son précieux livre dans la poche!

De la fenêtre, entre deux pans de mur, Genovieva peut apercevoir le quartier des Tziganes. Elle voit même la petite cour d'où monte un peu de fumée. C'est là qu'habite Iulian. La cuisine se fait en plein air. Certains logent dans des baraquements. D'autres ont une roulotte...

Un jour, quelques enfants de l'église font une promenade en attendant leurs parents. Les voilà dans le quartier des Tziganes. Que voient-ils, tout à coup? Quelques hommes et des femmes sont assis là-dehors près d'un feu qui s'éteint. Ils ont l'air d'écouter... Au milieu d'eux, un enfant tient un livre. Il le lit à haute voix. Ce livre, c'est la Parole de Dieu. Cet enfant, c'est Iulian. Il fait cela souvent, tout simplement.

Hélas! Un agent de la Securitate surveille le quartier. Il remarque la chose... Quelques jours plus tard, les autorités font savoir aux responsables de l'église qu'il leur est désormais interdit de recevoir Iulian!
La police arrive aussi chez ses parents. Le Nouveau Testament? Confisqué!

– Attention! dit-on à ces Tziganes, les "credinciosi" (croyants) sont des gens très dangereux, souvent impliqués dans des enlèvements ou dans d'horribles meurtres! Vous ne devez plus laisser votre fils aller chez eux. D'ailleurs, à partir de maintenant, nous lui interdisons de sortir de chez vous. Sinon... nous le mettrons en prison!
Que faire? Aussi discrètement que possible, les Tziganes continuent de recevoir la visite de quelques chrétiens. Genovieva elle-même se risque à sortir pour aller voir les parents de Iulian. Ah! quelle surprise et quelle joie pour l'enfant!
Mais les menaces se font plus précises. A regret, il faut finalement couper tout contact avec Iulian.

Pendant de longs mois, silence total. Plus de nouvelles de Iulian! Les membres de la chorale continuent pourtant de prier pour leur ami. Et dans sa solitude, Iulian tient bon.

Un dimanche après-midi, comme la première fois, doucement la porte de l'église s'ouvre. Iulian est sur le seuil, si heureux d'avoir pu s'échapper pour venir, un moment, se serrer très fort contre ses camarades.

Texte: Samuel Grandjean