5 - La maladie d'Aracy

- Tu viens avec moi, Aracy? demande Joanna. Je vais voir si je trouve des mangues…

Assise dans le hamac, la petite sœur hésite, puis répond sans entrain:
- Vas-y, Joanna. Moi, je reste ici!
- Mais qu'est-ce que tu as? Tu es toujours fatiguée!
- J'sais pas, moi!

La petite a presque quatre ans, à présent. Mais quand on observe attentivement son joli visage, on le trouve un peu émacié. Où sont les belles joues rondes qu'elle avait avant? Et regardez ses bras, ses jambes aussi… pas de doute, Aracy a maigri. Ce n'est d'ailleurs pas très étonnant. Après le départ de sa mère emmenée dans un hôpital à trois cents kilomètres de là, le vide a été durement ressenti par la petite. Elle en a perdu l'appétit. Et depuis, elle s'est habituée à manger trop peu. Ah! Si c'était de la viande, elle retrouverait vite et l'envie de manger, et les forces. Hélas! la viande est bien trop rare!

Un matin, Aracy se met à tousser.
- C'est la saison froide! dit-on en guise d'explication.

Si nous étions soudain transplantés dans cette forêt vierge, peut-être dirions-nous simplement: "Il fait un peu moins chaud!" Mais l'air y est très humide. Aussi les Indiens ressentent-ils très vite une légère baisse de température.

Est-ce pendant son sommeil qu'Aracy a pris froid? Elle dort près de l'entrée de la maloca, et il n'y a pas de porte. Est-ce en sortant la nuit, pour guetter au bord du chemin le retour d'une maman qui ne revient jamais?

La petite n'est pas bien. Elle n'a même plus la force d'aller ramasser du bois mort pour le feu. Aracy est fiévreuse. Aracy est malade…
- Il faut faire quelque chose! dit la tante.
- Je vais appeler le sorcier! décide le père de famille.
- Que va-t-il me faire? s'inquiète la petite.

Il arrive bientôt, vêtu comme tous les Caiuas. Pas de signes mystérieux sur sa peau. Mais il porte un bâton dont il frappe nerveusement le sol. Son autre main tient un balai de plumes. Il l'agite de temps en temps.
- C'est pour effrayer les esprits! explique-t-il. Il s'approche d'Aracy, la regarde, secoue la tête, réfléchit longuement…
- On va lui faire avaler une potion magique!

Dans une marmite d'eau chaude, il jette quelques herbes tirées d'un petit sac de toile. Il y ajoute une pincée de poudre jaunâtre.
- Ca lui fera du bien! déclare-t-il.

Quand le breuvage est un peu refroidi, on en remplit une calebasse. On la tend à l'enfant.
- Emokô pohâ! Avale ça, Aracy!

Soumise, la petite prend le récipient dans ses mains, et l'approche de ses lèvres brûlantes… Mais sa tête recule brusquement!
- Oh! c'est si amer!
- Pas d'importance! interrompt le sorcier. Tu dois tout boire!

Résignée, Aracy s'efforce d'avaler une deuxième gorgée. Quel effort il faut faire pour ingurgiter cet affreux liquide! mais pas moyen d'éviter le supplice qu'impose le sorcier. Pauvre petite Aracy, déjà si affaiblie. On la tourmente encore.

Avant de quitter la maloca, le sorcier donne ses consignes. Il prononce même des menaces pour s'assurer qu'on suive ses conseils.
- Alors seulement, elle pourra guérir!

Guérir! Aracy ne demande pas mieux. Aussi va-t-elle se donner de la peine. Hélas! A la potion magique s'ajoute une bouillie spéciale presque aussi exécrable.
- Courage! dira souvent Joanna, impuissante mais affectueuse.

Une semaine s'écoule. Aracy tousse toujours. Pas d'amélioration. On a plutôt l'impression que son état empire. La petite est épuisée. Tristement elle regarde sa sœur. Dans ses yeux vitreux, Joanna lit une question, et c'est toujours la même:
- Quand est-ce que j'irai mieux?

Joanna redouble de tendresse. Elle reste de longues heures accroupie près de la nate où sa petite sœur est étendue, inerte.
- Réagis, fais un effort, ne te laisse pas aller! voudrait-elle dire à la pauvre Aracy.

Mais non, elle ne peut pas. Où la petite puisera-t-elle l'énergie pour cela, elle qui n'a plus de ressources dans son corps amaigri?

Que va-t-il arriver? Nous le saurons bientôt…

Texte: Samuel Grandjean