Aracy 4 - Dans la nuit

- N'ayez pas peur! dit la vieille tante, alors que tout ruisselait encore, après la tempête. Dans cinq ou six jours, vous aurez une nouvelle maloca. En attendant, ici vous êtes comme mes filles. Vos cousins et cousines seront contents de vous avoir chez nous. N'est-ce ps Mbaudeja, Felisbino, Xisto, Iracema et Seriaca? Allons! Ne vous en faites pas trop!

Certes, Aracy et Joanna sont très bien accueillies. Pourtant leur maloca est quand même détruite, et leur mère n'est plus là! Aracy voudrait tant en avoir des nouvelles...

Enfin la famille s'installe dans une maloca toute neuve qui résitera sûrement aux plus fortes tempêtes.
- Erevy'a? (Es-tu heureuse) demande le papa, pressé de savoir si sa petite Aracy est contente.
- Avy'a! (Je suis contente) répond-elle affirmativement. Mais la joie ne peut être complète tant que manque la maman.

Le lendemain, Aracy part à la découverte du nouveau voisinage.
- Où vas-tu? lui demande Joanna.
- Je cherche un lac! répond la petite, en quête d'un ruisseau juste assez large pour qu'elle puisse s'y baigner. Elle qui aime tant l'eau, elle sera bien déçue, car il n' y en a pas.

Chez les Caiuas, on n'a pas l'habitude de manger à des intervalles réguliers, ni même de se réunir en famille pour cela. Chacun fait comme il veut. On mange quand on a faim, et quand on trouve quelque chose dans la marmite. La marmite... hélas! Depuis des jours, elle n'attire guère la petite Aracy. Chez l'enfant, l'ennui a chassé l'appétit. De cela, seule une maman peut se rendre compte. Mais quand elle n'est plus là...

Patates douces, manioc... manioc, patates douces. Les menus ne sont ni riches, ni variés! C'est de la viande qu'il faudrait à cette petite. Mais il n'y en a que trop rarement. Alors, elle dépérit.

Comme toujours, en quelques minutes la nuit vient de tomber. Toute ronde et dorée au-desus de la réserve de Takuapiri, la lune joue à cache-cache au sommet des grands arbres. Tout est calme autour de la maloca. Dedans, on s'pprête à dormir... Mais là, dans la forêt, quelque chose bouge ! Souple et silencieuse, une silhouette se découpe entre les troncs, avance, puis s'arrête à l'entrée de la maloca! Serait-ce un animal? Non! c'est une personne. La mère, de retour au foyer? Ah! Si seulement!

- Aracy! Aracy! appelle-t-on doucement. Vite la fillette est debout.
- Qui est là?
- C'est moi, Doliria! répond une jeune Indienne de quinze ou seize ans. Ecoute, Aracy! Chez nous, on rôtit une poule. On t'en réserve un morceau. Viens! Ca te fera du bien de manger de la viande! Allons, grimpe sur mes épaules! On y sera plus vit !
De la poule rôtie! Du coup, Aracy n'a plus envie de dormir!
Qu'il fait bon autour du feu, chez ces gentils voisins! Et quel régal!

Mais que se passe-t-il? Pourquoi, après avoir mangé, Aracy se glisse-t-elle soudain hors de la maloca? Serait-elle si pressée de rentrer? Non, ce n'est pas cela.

Dans la multitude des paroles, l'enfant vient d'entendre une phrase qui lui a fait dresser l'oreille. Malade… hôpital… C'est de sa mère qu'on parle. Alors la petite Indienne a une réaction pour le moins surprenante. Elle préfère ne rien savoir plutôt que d'avoir de mauvaises nouvelles. C'est pour cela qu'elle sort.

Maintenant, elle se tient toute seule au bord du chemin. C'est par là que sa mère est partie, il y a longtemps déjà. Ah! si elle revenait…

Soudain, un cri angoissant déchire le silence de la nuit. L'ouroutau! Cet oiseau à peine gros comme un merle passe inaperçu pendant la journée. Il se tient volontiers sur une branche sèche, tout droit, parfaitement immobile, la tête relevée. On croirait qu'il fait partie de la branche. La nuit, pendant des semaines on ne l'entend pas. Puis subitement, son cri lugubre sème la panique toutes les cinq minutes. Superstitieux, les Indiens le détestent. Pour eux, c'est l'annonce d'une mort prochaine dans le voisinage.
- L'ouroutau! Rentre vite, Aracy! crie une voix angoissée. Tu ne dois pas rester dehors. Viens vite à l'abri!

Pauvre enfant! Sans mère dans la nuit, quand tout le monde a peur ¨Pauvres Indiens caiuas! même les adultes tremblent. Ah! s'ils pouvaient connaître le Sauveur du monde, venu pour délivrer les hommes de toutes leurs craintes. Aracy, entendra-t-elle un jour parler de Jésus-Christ? Comment serait-ce possible, au milieu de cette immense forêt vierge? Comment? Plus tard nous le saurons. Hélas! la petite Indienne aura encore bien souvent l'occasion de trembler.

Devant qui va-t-elle se trouver tout à coup? Que lui ordonnera-t-on? Ce sera le sujet du prochain épisode de cette longue histoire vraie.

Texte: Samuel Grandjean