Juif errant... Juif héraut!

Editions L.L.B Valence, 1992, ISBN 2-85031-200-2

Présentation

Nous avons le plasir de vous présenter ce livre, né des souvenirs de Hillel Pokrzywa et rédigé par Frédéric Baudin. Nous remercions l'auteur et l'éditeur pour le droit de copie accordé.

Histoire passionnante d'un Juif polonais, venant de Lodz, et dont les errances l'ont mené à Paris, puis jusqu'à la Légion étrangère à Sidi-Bel-Abbès. Les chapitres 1 à 6 présentent ce "chemin de Damas" bien particulier, à la fin duquel, tout comme Saul de Tarse, il trouvera son Messie. Vu la richesse des références en yddish, un glossaire a été ajouté.

 La seconde partie, "Voyages d'un juif héraut", a comme sous-titre " Les Juifs et la Nouvelle Alliance"- Il raconte les voyages, faits souvent dans des circonstances difficiles, pour annoncer l'évangile, spécialement dans les milieux juifs. Les "Juifs messianiques" étant encore très mal connus chez nous, ce témoignage est fort utile.

Préface

En commençant la rédaction de ce récit, je me sentis gêné par le "je" qui jaillit de ma plume, employé dès la première page; car ce "je" était un "nous", en réalité. Oh! bien sûr, l'emploi facile et impersonnel du "il" eût été plus commode, mais moins vivant. "Il" suppose un passé révolu; une mort. Une biographie. Une vie remplie de froides archives, de témoignages déformés et de lettres passionnées, que le principal intéressé ne reconnaîtrait peut-être pas au jour de la résurrection des morts. "Il" me gênait, donc.

Pourtant, j'étais demandeur: je dois endosser ici la responsabilité d'avoir voulu écrire cette tranche de vie, avec le dessein avouable de présenter les Juifs messianiques, aujourd'hui peu connus et encore largement contestés. Quand j'allai trouver Hillel Pokrzywa, l'an passé, il donna aussitôt une réponse favorable à ma requête. Je l'interrogeai ensuite, pendant de très longues heures. Une fois seul devant ma feuille, le "je" a surgi, naturellement, sans effort. Symbiose.

Symbiose, car nous vivions l'un de l'autre: Hillel Pokrzywa parlait par ma plume qui vivait de ses paroles. Symbiose, mais non fusion. Nous étions deux, très différents; c'était là toute la difficulté.

On aura sûrement du mal à mesurer l'ampleur de cette différence, mais qu'on en juge seulement ici par ces quelques détails: Hillel me devance dans la vie de cinquante-six longues années! Un monde. Tout nous sépare, depuis le début de ce siècle aux années soixante qui nous virent naître l'un et l'autre. Hillel a côtoyé et aimé ces personnages que j'ai découverts en l'écoutant; il a vu et vécu en ces lieux dont je décris certains détails qui finissent par lui échapper. Un corps, et un décor. Hillel a connu; j'ai lu. A nous deux, nous avions la voix et les archives, l'instantané et la lente maturation du temps. Il revivait, avec une étonnante précision, tous ces moments de son histoire, au présent. Je puisais dans les archives, dans l'analyse des géographes et des historiens, des sociologues, des théologiens, des témoins, le recul – nécessaire? – pour habiller de vieux vêtements neufs ce présent qui ne cesse de passer. Hillel en parut satisfait: il était vivant pour me le confirmer; j'avais un avantage sur le nécrologue.

Mais un fossé nous séparait encore: Hillel était juif, je ne l'étais pas. Comment comprendre, pénétrer avec une intensité suffisante cette sensibilité, cette âme, cette histoire d'un peuple au si lourd, divin et fécond passé? Nous avions heureusement en commun un terroir riche de siècles, le sien plus ancien que le mien, une même foi en Dieu ; une même foi en ce Messie juif dont les non-Juifs s'étaient emparé et qu'ils avaient hélas souvent défiguré, dépouillé de son identité culturelle momentanément humaine, au point que nous risquions les uns et les autres d'oublier son véritable visage. Mais alors, comment Hillel en était-il arrivé là? Comment avait-il pu surmonter l'aversion que suscitait seulement le nom de Jésus-Christ parmi les siens? J'étais intrigué. Hillel avait appris à connaître les hommes de plusieurs nations, et moi je découvrais son histoire, celle de son peuple, avec une naïveté d'enfant, mêlée de stupeur.

Je ne puis me sentir coupable, en raison de mon âge, des gestes commis par les non-Juifs – les "goyim" – dont je suis l'héritier génétique; mais je ne puis non plus demeurer insensible à l'ignominie par eux perpétrée. On peut excuser l'ignorance, mais l'indifférence est un venin subtil. J'ai donc lentement pris conscience de l'étendue des souffrances endurées par le peuple d'Hillel dont je découvrais l'exceptionnelle capacité à vaincre les obstacles les plus redoutables. J'en fus d'autant plus surpris par la ferveur que mon interlocuteur montrait à l'égard du Jésus des Evangiles, sans jamais renier ou trahir son identité juive. Cela relevait, à mes yeux, de l'énigme. Je voulais savoir, percer le mystère: je ne fais que restituer, dans ce livre, le récit – très mouvementé! – d'un Juif de Pologne qui, avec ses amis "messianiques", m'ont ouvert les yeux sur une réalité dont j'ignorais encore jusqu'au moindre détail au début des années quatre-vingt!

Hillel Pokrzywa conserve la fraîcheur d'esprit d'un adolescent pour qui les idéaux et les absolus sont vitaux. A son âge, éprouvée par les souffrances qui eussent pu l'anéantir, cette attitude vaut de l'or. Il ne voulait pas écrire ce récit lui- même; il ne "pouvait pas", disait-il avec modestie. C'est un homme de la parole, qui s'exprime avec simplicité dans plusieurs langues, mais pour qui la plume est trop aiguë, trop exigeante. Je dois ajouter ici que mon "je" m'a quelquefois empêché de restituer un indéniable trait de caractère de notre Juif héraut: l'humilité. Car la vie d'Hillel Pokrzywa, ponctuée de tragiques et rocambolesques aventures, et mêlée qu'elle fut à d'autres vies dont je retrace ici brièvement les contours, se déploie pleinement en une foi vivifiante, à en donner l'amour d'aimer...

Frédéric BAUDIN

Note:
Nous nous sommes efforcés, chaque fois qu'il était nécessaire, de donner dans le récit même l'explication des mots étrangers, ou propres au folklore juif. Dans le texte, une traduction ou une courte paraphrase suit donc le mot, en apposition ou entre parenthèses. On pourra également se reporter au glossaire situé à la fin de cet ouvrage. Le h guttural des mots hébreu ou yiddish est rendu par 'h.