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L'héritage du christianisme face au XXIe siècle
11. Le grand tournant

Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible

Consensus chrétien affaibli, perte des valeurs: une nouvelle mentalité se dessine dans nos sociétés, autour de la paix personnelle et de la recherche de l'abondance.

La paix personnelle? Jouir d'une tranquillité égoïste, sans se laisser troubler par les détresses des autres ou envahir par celles d'un monde plus lointain, le refus de toute remise en question de son style de vie, quoi qu'il puisse en résulter pour les générations futures.

L'abondance? Une prospérité éclatante, l'accroissement des richesses, le succès mesuré à la seule aune des biens matériels.

Plusieurs générations durant, la conception fragmentée de la connaissance et de la vie fut enseignée dans les universités à travers le monde, et elle a fini par s'imposer. A la question des jeunes, au début des années 60: «Pourquoi étudier?», la réponse demeurait invariable: «Les statistiques montrent qu'un homme instruit dispose d'un revenu annuel supérieur.» «Gagner davantage d'argent? Pourquoi?» «Pour envoyer vos enfants à l'université!» Mais avec de telles réponses, quelle est la finalité de la vie humaine et de l'instruction?

Les médias ont vulgarisé de tels concepts, dans un courant d'intoxication ininterrompu pour toute une génération qui a grandi avec la pensée que la raison mène au pessimisme dans le domaine de la signification de la vie et de la référence à des valeurs sûres. Que restait-il alors de l'époque où l'influence du christianisme était autrement plus marquante sur la société? Désormais, les étudiants se sont vus tels des petits ordinateurs dirigés par le grand ordinateur de l'université, lui-même dirigé par le super-ordinateur de l'Etat.

Privé de l'éclairage chrétien, le travail devint un but en lui-même et l'éthique du travail a beaucoup perdu de sa signification. Pour quoi travailler? A partir de quelles valeurs faire usage du produit de son labeur? En 1964, à l'Université californienne de Berkeley, les étudiants sont descendus dans la rue pour propager leurs idées que l'homme n'avait aucun sens. Pourquoi en être surpris dès lors que beaucoup de professeurs enseignaient l'absence définitive d'absolus et l'absurdité de la vie humaine, tout en vivant eux-mêmes, et de façon inconséquente, sur les souvenirs du passé? Etait-il dès lors si étonnant de voir toute une génération se laisser gagner par une manière de vivre inspirée par ce qui lui a été enseigné? On en mesura les résultats à Berkeley, en 1964: une redoutable tornade, rien de moins!

Disciples de Huxley, beaucoup d'étudiants eurent alors recours aux drogues comme on court après une idéologie, voire, pour certains d'entre eux, à une religion, dans l'espoir d'y trouver une signification «à l'intérieur d'eux-mêmes», puisqu'ils ne croyaient plus à la vérité objective. Le psychologue Timothy Leary (1920–1996), le poète Gary Snyder (né en 1930), l'auteur et philosophe Alan Watts (1915-1973), le poète Allen Ginsberg (1926–1997) ont exercé une forte influence pour que les drogues deviennent une idéologie. Dans l'esprit de Leary, elles sont les sacrements de la nouvelle religion. En réalité, le recours à la drogue n'était qu'un saut de plus, une recherche de signification dans la sphère de la non-raison. (Voir chapitre précédent).

Charles Slack (né en 1929), évoquant ses relations prolongées avec Leary, rappelle, dans Timothy Leary, the Madness of the Sixties and Me (1974), que Leary lui avait dit: «Tuer l'esprit, c'est le but que vous devez avoir. Rien d'autre ne réussira.»

On navigue en pleine utopie : mettre le monde en marche! Les problèmes de la civilisation moderne seront résolus le jour où un nombre suffisant de gens s'adonneront aux stupéfiants. On est allé jusqu'à imaginer répandre du LSD dans l'eau potable des villes! Les auteurs d'une telle suggestion n'avaient aucune intention de mal faire; simplement, ils croyaient que les drogues étaient la porte du paradis... A partir de 1964, et plusieurs années durant, le monde hippie a adhéré à ce point de vue idéologique.

A Berkeley, deux mouvements en faveur des drogues, le Free Speech Movement (le Mouvement de la Libre Parole) et les hippies apparurent en même temps. A l'origine, le Free Speech Movement ne se situait, politiquement parlant, ni à droite ni à gauche, mais plutôt comme un appel en faveur de la liberté d'exprimer n'importe quelle opinion sur Sproul Plaza, à Berkeley. La Libre Parole n'a pas tardé, cependant, à devenir le mouvement de la parole malpropre: la liberté consistait à répéter, en hurlant, tel mot grossier dans un micro. C'est à partir de ce groupement que se développa la New Left (Nouvelle Gauche), fidèle à l'enseignement de Herbert Marcuse (1898–1979), professeur allemand de philosophie qui s'inscrivait pleinement dans la ligne de l'école néomarxiste de Francfort, avec Theodor Adorno (1903–1969), Max Horkheimer (1895–1973) et Jürgen Habermas (né en 1929). Devenu l'inspirateur de la Nouvelle Gauche, Marcuse enseignait à l'Université de Californie, à San Diego.

Les jeunes ont commencé par rejeter les valeurs dépréciées de leurs parents. Puis une certaine partie d'entre eux ont eu recours aux drogues, considérées comme une idéologie, alors que d'autres épousaient le combat de la Nouvelle Gauche de Marcuse. Mais les aspirations de tous allaient au-delà de la recherche de la paix personnelle et de l'abondance. Si leur analyse était juste, ils s'égaraient dans les solutions qu'ils proposaient.

Le point culminant de la culture de la drogue et du mouvement hippie est symbolisé par le film Woodstock. Woodstock, dans l'Etat de New York, où eut lieu le fameux festival de l'été 1969, marquait, pour beaucoup de jeunes, «le début d'une ère nouvelle et merveilleuse», au dire de l'organisateur de la manifestation. Déjà impitoyable, le monde de la drogue allait vite atteindre les limites de l'euphorie avec la mort, quinze mois plus tard, en septembre 1970, de Jimi Hendrix, âgé de 28 ans à peine, victime d'une overdose juste après avoir prétendu que la civilisation dont il était la figure emblématique était un nouveau commencement. A la fin des années 60, les espoirs idéologiques fondés sur le recours aux drogues se sont bel et bien évanouis.

A Altamont, en Californie, les Rolling Stones organisèrent leur propre festival en décembre 1969. Ils choisirent les Hell's Angels (les Anges de l'Enfer) pour assurer le service d'ordre, en échange d'une certaine quantité de bière. Hélas, ces «gardiens» tuèrent un homme et, à la suite de ce drame, on a pu lire dans la revue Rolling Stone : «L'âge de notre innocence est passé.» En août 1970, 250 000 jeunes assistèrent à un autre festival de musique, sur l'île de Wight, dans la Manche. Là aussi tout finit mal, et le recours à la drogue se modifia, sans pour autant que le nombre de consommateurs diminuât. Au contraire!

Au tournant des années 60 et 70, la moyenne d'âge des jeunes absorbant une forme ou une autre de drogue baissa. Les stupéfiants redevinrent le moyen d'évasion qu'ils furent si souvent dans le passé.

Aux Etats-Unis, la Nouvelle Gauche perdit progressivement du terrain, discréditée par l'usage des bombes. En 1970, des troubles au laboratoire de l'Université du Wisconsin firent une victime parmi les étudiants. Hélas, cette bombe ne fut pas la dernière à être jetée aux Etats-Unis, où des éléments durs, radicaux au sens américain du terme, demeurèrent longtemps très actifs. Cette violence de la Nouvelle Gauche – son héritage naturel! – a conduit la majorité des jeunes Américains et Européens à ne plus la considérer comme un recours. Avec la fin d'une idéologie basée sur les espoirs trompeurs des drogues et l'affaiblissement de la Nouvelle Gauche, que restait-il, au tournant des années 70, pour ces jeunes Américains, sinon une apathie quasi totale?

Dans les années 60, aux Etats-Unis, et en dépit des efforts déployés par les nombreux activistes politiques, les jeunes votaient peu, même si la majorité civique avait été ramenée à 18 ans sur le plan fédéral.

Passée la tourmente des sixties et le calme retrouvé sur les campus, nombreux furent ceux qui imaginèrent une amélioration de la situation. Pour ma part, j'en aurais pleuré...

En recherche de solutions, les jeunes avaient fait fausse route, en dépit de la pertinence de leur analyse. Hélas, une large partie d'entre eux perdirent tout espoir et revinrent tout simplement à ces valeurs qu'ils avaient rejetées chez leurs parents, la tranquillité et l'abondance. Autrement dit, en se révoltant contre leurs parents, les jeunes ont tourné en rond, pour finir souvent à un niveau plus bas encore – drogue, alcool, dont l'abus devint inquiétant, promiscuité sexuelle et hermaphrodisme –, avec des valeurs identiques, mais fortement dépréciées.

Le marxisme-léninisme et le maoïsme ont marqué une nouvelle étape de la révolte. Cette influence idéologique fut nettement plus évidente en Amérique du Sud, notamment, qu'aux Etats-Unis. Le marxisme-léninisme, autre saut dans le champ de la non-raison, a présenté alors, pour beaucoup de jeunes, un caractère tout aussi idéaliste que la drogue à ses débuts. Ils l'ont adopté en dépit du fait que l'oppression fait bel et bien partie du système communiste et représente bien plus qu'un abus imputable au seul Staline.

Pour s'en convaincre, relisons Soljenitsyne (né en 1918) et L'Archipel du Goulag, dont le premier volume, paru en 1974, démontre très soigneusement que les fondements d'un système législatif arbitraire ont été solidement établis par Lénine déjà. Après avoir résumé les procès tenus jusqu'en 1922 et se reportant aux fameux «procès de propagande» de 1937, Soljenitsyne s'interroge: «Pourquoi avoir été surpris en 1937? Toutes les bases de l'illégalité n'avaient-elles pas été posées?» Ce système a existé avant Staline et, de toute évidence, il lui a survécu. Pour Soljenitsyne, la «salamandre», qui lui sert à désigner le réseau des camps de prisonniers, est toujours en vie. Dans le deuxième tome de L'Archipel du Goulag (1975), il écrit que les camps renfermaient jusqu'à quinze millions de prisonniers à la fois. Selon ses évaluations, soixante-six millions de prisonniers ont péri entre la révolution de 1917 et 1959.

Même si, avec le temps, la «salamandre» a perdu de sa voracité, Soljenitsyne n'en était pas rassuré pour autant. Il voyait trop bien que la cause profonde de ce système législatif arbitraire résidait dans la volonté d'assurer la sécurité intérieure à tout prix; il savait que si ses contemporains l'exhortaient à «oublier le passé», ils faisaient néanmoins le même choix. Restez-en au passé et vous perdrez un oeil», disaient-ils. A quoi Soljenitsyne ajoute: «Mais le proverbe dit ensuite: oubliez le passé et vous perdrez les deux yeux.»

A l'époque, Soljenitsyne comparait fort opportunément l'effort constant de l'Allemagne occidentale, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans sa chasse aux criminels nazis (86'000 avaient déjà été condamnés en 1966!) à l'absence totale d'une procédure similaire en Allemagne de l'Est (alors communiste) contre les mêmes nazis, et en Union soviétique contre les agents actifs des crimes de Staline, crimes pourtant dénoncés officiellement par les dirigeants communistes. Pour Soljenitsyne, Molotov est le symbole d'une telle mentalité. Ce dignitaire soviétique, dit-il, vivait paisiblement, en «homme qui n'a absolument rien appris, y compris à l'heure actuelle, bien qu'il soit abreuvé de notre sang, et qui traverse dignement le trottoir pour prendre place dans sa longue et spacieuse automobile».

Méditant sur ces faits, Soljenitsyne ajoute: «Depuis les temps les plus reculés, on a distingué deux aspects dans la conception de la justice: la vertu triomphe et le vice est puni.» En Russie, au contraire, «les jeunes sont en train d'acquérir la conviction que les actions mauvaises ne sont jamais punies sur cette terre et qu'elles apportent toujours la prospérité. (...) Il devient incommode, horrible, de vivre dans un tel pays!» Et nous pourrions ajouter: dans n'importe quel pays où le communisme s'est emparé du pouvoir, la Chine ayant probablement moins de liberté que la Russie.

Les communistes soviétiques ont aussi pratiqué l'oppression hors de leurs frontières, en Hongrie, en Tchécoslovaquie. Je n'ai jamais oublié le jour où ils se sont emparés de la Hongrie, le 4 novembre 1956. J'étais à l'écoute de mon poste de radio, sur les ondes courtes, quand j'ai entendu les étudiants appeler à l'aide en anglais, dans l'espoir d'être entendus du monde extérieur. Un journal a publié la photo d'une jeune Hongroise, llond Troth, pendant son procès. Ilond Troth fut pendue en juillet 1957. J'ai conservé cette photo. Pour mémoire. «Oubliez le passé et vous perdrez les deux yeux.»

Le saut dans le marxisme-léninisme est bien romantique, au sens négatif du terme! Il se distingue du saut accompli par les existentialistes, mais il a néanmoins un point commun avec eux, il est sans base rationnelle. La philosophie sous-jacente au marxisme-léninisme, le matérialisme, n'offre aucune garantie de respect de la dignité et des droits de l'homme. Même si, dans l'opposition, il a toujours séduit par ses appels à la dignité et aux droits!

Pour comprendre cela, il faut savoir que Marx a reconnu que le christianisme donne une base à la dignité de l'homme, et qu'il s'est approprié ces mots – dignité de l'homme – comme s'ils lui appartenaient. D'une certaine manière, par ses élans idéalistes, le marxisme-léninisme est une déviation du christianisme, et cela peut nous aider à comprendre l'attrait qu'il a exercé sur beaucoup de jeunes. Au pouvoir, il a utilisé des mots auxquels le christianisme seul peut donner un fondement. Hélas, impossible de trouver un seul exemple, dans l'histoire, où le marxisme n'a pas apporté l'oppression. Ni où le désir de la majorité n'est pas devenu un concept vide de sens.

Quand l'action de l'Etat s'appuie ouvertement sur le matérialisme philosophique, il n'existe aucune base pour ce «socialisme à visage humain» si cher aux réformateurs tchèques groupés autour d'Alexandre Dubcek, dans la Tchécoslovaquie du printemps de 1968.

A la question de savoir si un communisme à visage humain est de l'ordre du possible, André Malraux a répondu, en 1975: «L'expérience de l'histoire suggère qu'il ne peut pas y en avoir.» Sans un fondement pour la dignité de l'individu, seule demeure une procédure arbitraire, qui peut tordre et transformer à volonté. En dernière analyse, les hommes ont tendance à agir en conformité avec leurs présuppositions et leur vision du monde, et cela avec une constance tout à fait remarquable. L'oublier, à propos d'un système qui s'appuie consciemment sur la philosophie du matérialisme, ce n'est pas seulement perdre les deux yeux, c'est perdre la tête!

Les pays qui ont un fondement chrétien peuvent agir de manière totalement inconséquente avec leur héritage. Un Etat avec une philosophie matérialiste se complaira dans l'arbitraire, attentera à la dignité de l'homme dans sa politique intérieure et dans sa relation avec les autres nations, mais il sera, lui, en accord avec ses présupposés et ses principes.

Se tourner vers le marxisme-léninisme équivaut à un saut dans la sphère de la non-raison! C'est la règle du jeu typique de Nietzsche: on fixe les limites du système dans lequel on se situe et l'on refuse de regarder en dehors d'elles, de peur de voir le tout s'effondrer comme un château de cartes. Certes, le marxisme-léninisme n'en est pas devenu moins dangereux pour autant, et, dans les années 70, il a fallu tenir compte de la résurgence de partis communistes de la «vieille école» à côté de ces mouvements idéalistes nouveaux. Autrement dit, on avait affaire, d'une part, aux tenants d'un marxisme-léninisme purement idéal – mais essentiellement irrationnel ! –, brandissant les notions de «dignité», «droits», qui sont devenues en fait une hérésie chrétienne, mais en fermant les yeux sur le caractère intrinsèquement oppressif du système en tant que tel, et, d'autre part, aux communistes de la «vieille école», fermes soutiens de l'orthodoxie idéologique!

Au cours d'une entrevue avec des journalistes, en 1975, Daniel Cohn-Bendit, Dany le Rouge, le meneur des émeutes estudiantines de Paris en mai 1968, a fait le distinguo entre ces deux groupes, parlant d'une «idéologie communiste orthodoxe» et d'une bureaucratie à la soviétique – telle qu'elle existait en Union soviétique à cette époque.

Aux Etats-Unis, les conclusions logiques auxquelles l'homme détaché de la révélation biblique, écrite et incarnée, est progressivement parvenu ont généré d'autres problèmes d'ordre pratique. Le concept de la souveraineté de la loi (voir Lex Rex, de Samuel Rutherford), grâce auquel de nombreuses libertés ont été rendues possibles, et ce sans le chaos, a perdu de son impact. Des lois n'ayant plus cette norme de gouvernement, les jugements arbitraires prennent de plus en plus le dessus. Et si, ici ou là, ce système est encore en vigueur, il ne faut y voir qu'une simple perpétuation passive de principes ancestraux.

Comme la science moderne humaniste dépourvue de base appropriée court le risque de devenir une science sociologique (voir chapitre 10), la loi civile peut devenir, elle aussi, une loi sociologique. Cette évolution a été franchement assumée par Oliver Wendell Holmes junior (1841–1935), un distingué juriste devenu juge à la Cour suprême américaine. Dans The Common Law (1881), il écrit en effet que la loi est basée sur l'expérience. Daniel H. Benson, professeur de la faculté de droit de l'Université texane de Tech, cite Holmes: «Le vote de la majorité de la nation est la vérité qui peut effacer toutes les autres vérités.»

Dans une lettre à John C. H. Wu, Holmes écrit: «Quand on doit établir un code de lois, la question ultime est de savoir ce que les puissances dominantes de la société veulent, et si elles le désirent suffisamment pour écarter toute opposition qui pourrait se dresser contre elles.» La tonalité est bien éloignée de la perspective biblique de Samuel Rutherford et de la peinture murale de Paul Robert, où la Justice montre la Parole de Dieu.

Frederick Moore Vinson (1890 – 1953), ancien président de la Cour suprême, a formulé le problème ainsi: «Rien n'est plus sûr dans la société moderne que le principe qu'il n'y a pas d'absolu.» Tout est relatif, expérimental. Curieuse caractéristique de notre temps, cependant: le seul absolu toléré est l'insistance qu'il n'y a pas d'absolus !

Roscoe Pound (1870–1964) a écrit dans Jurisprudence, en 1959: «Les philosophes grecs ont cherché à trouver une base solide pour le gouvernement de la société, différente, d'une part, de la tradition et de l'habitude d'obéir et, d'autre part, de la volonté politique du moment. Ils pensèrent avoir trouvé cette base dans l'analogie des phénomènes constants et universels de la nature physique.» A une époque comme celle de Rousseau, de Goethe et de Constable, quand la nature était vénérée, il y avait un effort concerté pour faire de la nature la base de la loi: c'était la loi naturelle, ou l'école de jurisprudence de la loi de la nature. Roscoe Pound écrit à ce sujet: «Des juristes de l'école de la loi de la nature du XVIIIe siècle pensèrent qu'un système de lois complet et parfait pouvait être édifié sur les principes d'une loi naturelle, c'est-à-dire idéale, que l'on pouvait découvrir grâce à la raison.» C'est un aspect de l'optimisme du Siècle des lumières.

Mais, progressivement, on a abandonné l'espoir qu'une nature à la fois cruelle et non cruelle pouvait constituer une valeur fixe pour la morale ou pour la loi. A partir du début du XXe siècle, la loi enracinée dans la nature n'a plus qu'un contenu variable, comme l'atteste une citation, faite par Pound, du juriste et philosophe du droit français Joseph Charmont (1859–1922).

En pensant à la grave signification du procès des crimes de guerre de Nuremberg, un juriste judéo-chrétien m'a écrit un jour: «J'ai su alors qu'aucune loi morale n'était inscrite sur une tige d'herbe, dans une goutte d'eau ou même dans les étoiles. Je réalisai la nécessité de la loi divine immuable telle qu'elle est exposée dans la Torah sacrée, qui contient avec précision des commandements, des règlements, des ordonnances et des jugements.»

Après l'échec dans la recherche d'une base solide pour la loi, l'homme en est dès lors réduit à «l'expérience» d'Oliver Wendell Holmes et au «rien n'est plus sûr dans la société moderne que l'absence d'absolus» de Frederick Moore Vinson. Une partie non négligeable de la législation moderne n'est plus inspirée par la jurisprudence du passé. Dans une large mesure, et pour citer l'exemple des Etats-Unis, on fait dire à la Constitution ce que les tribunaux désirent qu'elle dise. Ainsi, à partir de la simple décision d'une instance judiciaire, la Constitution se voit interprétée à la lumière de ce qui est ressenti comme sociologiquement utile à un moment donné, parfois avec des résultats heureux, temporairement pour le moins. Mais une fois la porte entrouverte, tout peut devenir légal et les jugements arbitraires des hommes deviennent souverains. Le mouvement est lancé. La loi est en roue libre. Les tribunaux ne se contentent plus d'interpréter les lois établies par les législateurs, ils fabriquent la loi. Lex Rex est devenu Rex Lex. Le jugement arbitraire sur le bien sociologique qui a cours est souverain (est roi). La rupture est nette avec l'ancienne législation et par rapport au consensus d'alors et, curieusement, la majorité des gens semblent s'en accommoder sans trop de difficultés.

L'évolution de la législation américaine sur la question du fœtus humain en est un parfait exemple:

22 janvier 1973. Ce jour-là, la Cour suprême décide que toute femme américaine a le droit d'avorter pendant les trois premiers mois de grossesse sans que la moindre objection puisse être formulée. Durant les trois mois suivants, l'avortement est autorisé si l'Etat estime que la santé de la mère est en jeu. Mais on peut se demander où est la considération pour le fœtus durant ces six mois, d'autant plus quand on sait que, pendant les trois derniers mois de la grossesse, aucune protection réelle ne lui est garantie par la loi. La notion de santé de la mère est prééminente.

Joseph P. Witherspoon (né en 1916), professeur de jurisprudence à la faculté de droit de l'Université du Texas, commente en ces termes, dans Texas Tech Law Review (volume Vl, 1974–1975), cet arrêté de la plus haute instance judiciaire américaine: «Par cette décision de 1973, la Cour a soutenu que le fœtus n'est pas une personne au sens donné à ce terme par le quatorzième amendement à la Constitution, avec la protection qui s'y rattache; la vie de tous les fœtus, leur liberté, leur propriété ne sont donc pas du tout protégées constitutionnellement.»

Nous faisons face à un absolu totalement arbitraire du point de vue médical et légal. Une série d'études favorables à l'avortement publiées sous le titre Our Future Inheritance: Choice or Chance? par des savants britanniques et américains de plusieurs disciplines avait pour ambition d'informer le grand public sur les problèmes posés par la génétique. Mais une question est restée ouverte, celle du moment où la vie commence. Ces scientifiques ont avancé que «l'avortement peut avoir lieu avant que le fœtus devienne «vivant». Cependant, la question de savoir à quel moment le fœtus devient vivant est elle-même sujette à discussion.» Puis, plus loin: «Un biologiste peut dire que la vie humaine a commencé au moment de la fécondation, lorsque le sperme et l'ovule se sont rencontrés.»

Médicalement parlant, l'arbitraire de la décision de la Cour suprême de 1973 est mis en relief par Our Future Inheritance: Choice or Chance?. Paradoxalement, ce livre prône la destruction du fœtus par l'avortement, pour se demander ensuite s'il est moral de féconder in vitro l'ovule avec le sperme, à une époque, en 1974, où la recherche ne permettait pas d'être assuré de l'espérance de vie du fœtus au-delà de quelques jours.

Le problème est le suivant: après la fécondation, le fœtus a «toutes les capacités génétiques de l'être humain qu'il sera» dès lors qu'il fut introduit dans le sein maternel et que la grossesse s'est poursuivie avec succès. A quel stade de développement faut-il accorder à un embryon ou à un fœtus le statut de patient? Autrement dit: un fœtus âgé de six jours peut-il être considéré comme un «patient»? Dans leur plaidoyer en faveur de la fécondation in vitro, les auteurs du livre font valoir que, puisque nous soignons un bébé né prématurément, nous devons être prêts à aider au développement d'un bébé hors du corps de la mère. «Pour la majorité des gens, l'aide au bébé prématuré est considérée comme l'un des devoirs fondamentaux de la société.» Dans l'argumentation en faveur du développement complet de l'embryon hors du corps, la notion de bébé prématuré est pertinente dès la fécondation. Mais qu'en est-il alors de l'avortement d'un bébé de cinq mois et demi, un bébé qui a assurément «toutes les capacités génétiques pour devenir un être humain» ?

 

La libéralisation de l'avortement dans nos pays occidentaux pose un problème Note 1– nous  ne le répéterons jamais assez! – un absolu tout à fait arbitraire qui affecte des millions d'embryons. Médicalement, la question reste très controversée: il est admis de se poser des questions sur le plan moral à propos d'un ovule fécondé âgé de sept jours seulement, et le problème qui se pose à propos de cet ovule repose sur le fait qu'«il a toutes les capacités génétiques pour devenir un être humain». Ainsi, quand le très officiel Supreme Court Reporter (vol. 410) affirme que les bébés, avant leur naissance, ne sont pas considérés par la loi comme des personnes, il met en place un absolu arbitraire contre la vie humaine, et ce de nature médicale.

Mais cette législation sur l'avortement présente également un caractère arbitraire sur le plan légal: elle ne tient aucun compte des intentions des treizième et quatorzième amendements de la Constitution américaine. Relisons le professeur Witherspoon: «Ainsi la Cour, en examinant la signification à donner au concept de «personne» dans le procès Roe contre Wad [lié à l'avortement], n'a pas fait d'enquête sur le véritable objectif et l'intention des législateurs qui formulèrent les treizième et quatorzième amendements, qui ont un rapport étroit avec cette situation. En agissant ainsi, elle n'a pas été fidèle à la loi ou aux législateurs. Tout observateur impartial étudiant avec soin l'histoire de ces deux amendements aura la preuve que l'objectif essentiel de leurs auteurs était d'empêcher tout tribunal, et spécialement la Cour suprême des Etats-Unis (en pensant à sa décision de 1857 dans le cas de Dred Scott Note 2, ou toute autre institution ou autorité gouvernementale de donner une nouvelle définition du concept de personne qui exclurait une catégorie d'êtres humains de la protection de la Constitution et des garanties qu'elle a fixées en faveur des droits fondamentaux des êtres humains; il faut comprendre comme êtres humains les esclaves, les péons, les Indiens, les étrangers, les femmes, les pauvres, les personnes âgées, les criminels, les malades mentaux et les arriérés, les enfants, y compris ceux qui ne sont pas encore nés, et cela dès le moment de leur conception.»

Le juge fédéral américain White s'est désolidarisé de la décision de la Cour en exprimant son désaccord en ces termes: «Sur le strict plan du pouvoir judiciaire, il se peut que la Cour ait le pouvoir de faire ce qu'elle fait; mais, à mon avis, sa décision dénote une manière imprévoyante et excessive d'exercer le pouvoir de révision juridique que la Constitution lui donne.»

Par une décision médicalement et légalement arbitraire, la Cour suprême est en rupture complète avec le consensus chrétien du passé sur la question. Dans l'Empire romain – païen! –, l'avortement était librement pratiqué, mais les chrétiens s'y opposaient. En 314, le Concile d'Ancyre écarta de la table sainte, pour une durée de dix ans, les avorteurs et ceux qui concoctaient des remèdes abortifs. Pour le Synode d'Elvire (305–306), de telles fautes étaient frappées d'excommunication jusqu'au lit de mort.

De nos jours, et à partir de 1973, les absolus arbitraires de la Cour suprême sont couramment admis, en dépit du consensus et de la législation des siècles passés. On peut craindre dès lors, de la part d'une génération élevée dans l'idée de l'absence de tout absolu et de la relativité de toute chose, une attitude plus souple face à des limitations qui s'avéreraient sociologiquement utiles. Nous voilà livrés à une loi sociologique. Où en seront ses limites?

Il est tout à fait légitime de condamner la cruauté et l'hypocrisie de ceux de nos ancêtres qui considéraient l'esclave noir comme une «non-personne». Mais, de nos jours, une simple décision de la Cour suprême américaine n'a-t-elle pas, à son tour, dénié au fœtus la qualité de personne? Ainsi, avec un absolu arbitraire charrié par le flot humaniste, des millions de fœtus de toutes nations et de toutes races sont déclarés non- personnes» par la loi. Hypocrisie, là aussi.

A propos du fœtus, les tribunaux ont distingué arbitrairement «être vivant» et «être une personne». C'était oublier qu'on pourrait agir de même, et de manière tout aussi arbitraire, envers les personnes âgées en acceptant l'euthanasie. Pourquoi ne pas maintenir en vie des individus en état de mort cérébrale pour prélever sur eux des organes ou du sang? Une simple approbation au vote majoritaire serait suffisante. Le Dr Willard Gaylin (né en 1925) a fait cette proposition dans son article «Harvesting the Dead» («La moisson des morts»), publié en septembre 1974 dans Harper's. Dans notre civilisation, la loi et les mœurs sexuelles sont réduites à une simple question de moyennes et de statistiques.

Avec l'affaiblissement du consensus chrétien, les solutions sociologiques de rechange sont peu nombreuses. Parmi elles, l'hédonisme: l'individu a pour seule préoccupation ses propres affaires. Mais édifier une société sur l'hédonisme, c'est aboutir au chaos. Un homme peut vivre sur une île déserte et suivre ses désirs, dans les limites du cadre de l'univers. Mais si deux hommes vivent sur cette île et aspirent à y vivre en paix, ils devront dépasser la seule recherche de leur plaisir personnel. Imaginez deux hédonistes sur un pont très étroit surplombant un cours d'eau impétueux: ne seraient-ils pas plus avisés de faire preuve d'égards réciproques et de sortir du cadre de leurs seules préoccupations individuelles?

Le caractère impératif du vote à la majorité absolue, c'est- à-dire à 51%, est peut-être une autre solution. Jadis, dans une civilisation empreinte de concepts chrétiens, un croyant était apte, Bible en main, à porter un jugement sur les valeurs de la société pour avertir ses contemporains. Un absolu moral et judiciaire existait, qui dépassait le simple vote majoritaire. Le consensus chrétien évanoui, cet absolu a disparu comme force sociale.

Mais le vote majoritaire n'est pas parfait. Poussé à l'absurde, il a légitimé Hitler et lui a donné le droit d'agir à sa guise. A partir d'un tel principe, la loi et la morale sont réduites à une question de chiffres, de statistiques et de sondages, en fonction de l'impératif de l'approbation majoritaire – la moitié des voix plus une suffisent! Il peut devenir légitime de supprimer les vieillards, les malades incurables, les fous et toutes les catégories susceptibles d'être décrétées «non-personnes». Qui, désormais, pourrait s'y opposer?

Alfred Charles Kinsey (1894–1956), biologiste et sociologue à l'Institut de recherche sur le sexe de l'Université de l'Indiana, a publié deux volumes écrits à partir de 18500 interviews, Sexual Behavior of the Human Male, en 1948, et Sexual Behavior of the Humane Female, en 1953, qui ont connu un plus grand succès que d'autres ouvrages considérés comme plus respectables. Kinsey a réduit ce qui est bon dans le domaine sexuel à une simple question de statistique. Mais l'impact réel de son travail réside dans la conception sous-jacente couramment admise de nos jours selon laquelle ce qui est bien et mal dans le sexe dépend de la pratique de la sexualité des gens, à un moment donné de l'histoire. L'homme moderne n'a pas agi différemment dans le domaine de la loi.

Pour les Grecs, nous l'avons vu au chapitre premier, la société – la polis – ne représentait pas une autorité suffisamment solide à partir de laquelle on pouvait bâtir. Les choses ont-elles changé de nos jours? Sans absolus et sans attirance non plus pour le chaos de l'hédonisme ou le caractère impératif du vote de la majorité, il ne nous reste qu'une troisième solution de rechange: un homme ou une élite fixant des absolus autoritaires et arbitraires.

Au fond, il existe une règle simple qui doit pousser à la réflexion: sans absolus pour juger la société, la société devient alors l'absolu. La société n'a plus qu'à faire appel à un homme ou à une élite pour combler le vide créé par la perte du consensus chrétien à l'origine de l'équilibre et de la liberté caractéristiques de l'Europe septentrionale en particulier et de l'Occident en général. Avec le communisme, une élite a pris le pouvoir, imposant des absolus arbitraires qui ont force de loi. Mais à partir de quels critères évaluer des absolus qui peuvent être un jour ceci et cela le lendemain?

Dans le monde occidental, deux types d'élites ont tenté de combler le vide culturel. D'abord, et à la suite de Marcuse, la nouvelle gauche; mais son influence a décliné et elle a vite perdu ses moyens d'action. Puis l'économiste John Kenneth Galbraith, né en 1908, qui déplore, à l'instar des étudiants de Berkeley, la culture misérable dans laquelle nous vivons. Il a lancé l'idée d'une élite d'intellectuels recrutée dans les milieux universitaires, scientifiques et gouvernementaux. Juin 1975 a vu deux mille «futuristes» réunis à Washington en assemblée générale de la société du monde futur. Le sociologue et économiste Robert Theobald a souscrit au concept d'«autorité des sages», sorte de méritocratie sélectionnée pour collaborer étroitement à l'élaboration des décisions du pouvoir politique. «Il est naïf, dira Theobald, de nier la nécessité d'une élite d'experts compétents dans des domaines spécialisés.»

Pour Daniel Bell, professeur de sociologie à l'Université de Harvard, l'élite est composée d'intellectuels choisis. Dans le chapitre «Who Will Rule?» (qui gouvernera?) de son livre The Coming of Post-Industrial Society, il écrit: «L'université, ou un autre établissement d'enseignement de haut niveau, deviendra la principale institution des cent prochaines années, en raison de son rôle comme nouvelle source de transformation et de connaissance.» Bell a anticipé le moment où les choix essentiels procéderont du gouvernement mais où les décisions politiques et économiques seront confiées à des centres de recherche cautionnés par le pouvoir politique. «Les conséquences des décisions étant liées de façon complexe, ces décisions auront un caractère technique croissant.» La société évoluera vers une technocratie où «l'influence déterminante appartiendra aux spécialistes de l'administration et de l'économie». En dernière analyse, Bell estime que l'Etat, le gouvernement, les affaires, l'éducation, les règles mêmes de la vie quotidienne du citoyen seront dirigés par une élite de technocrates, évidemment seuls capables d'assurer la bonne marche du mécanisme complexe de la société et ayant reçu tous les pouvoirs appropriés.

Bell va encore plus loin et lance un avertissement avisé à propos des implications éthiques d'une telle situation; «Une société postindustrielle ne peut produire une morale transcendante (...) L'absence d'un système moral de croyance bien enraciné constitue la contradiction culturelle de la société, le plus grand défi à sa survie.» A l'avenir, ajoute-t-il, les hommes pourront être refaçonnés, leur comportement conditionné, leur conscience modifiée. Les contraintes du passé s'évanouiront. Quand le tableau du futur brossé par Bell sera devenu réalité, on aura l'élite souhaitée par John Kenneth Galbraith.

C'est le degré ultime et naturel de l'humanisme. Léonard de Vinci l'a entrevu le jour où il s'est rendu compte qu'en prenant l'homme comme point de départ unique, les mathématiques ne nous conduiraient qu'aux particuliers, et les particuliers qu'à la mécanique. L'humanisme ne peut pas atteindre l'universel dans le domaine de la signification et des valeurs. Mon fils Franky l'exprime ainsi:

L'humanisme a changé le Psaume 23.
Ils ont commencé en disant: Je suis mon berger.
Puis: Les brebis sont mon berger.
Ensuite: Tout est mon berger.
Enfin: Rien n'est mon berger.

Attaché à l'humanisme, il y a comme un désir de mort inhérent, un mouvement impulsif qui le pousse à combattre les sources de nos libertés et de notre culture.

A une nation d'Israël qui s'était détournée de Dieu, de sa vérité et de ses commandements révélés dans l'Ecriture, le prophète Jérémie criait haut et fort: la mort est dans la cité! La mort dans la cité, pas seulement la mort physique de Jérusalem, mais la mort au sens le plus large, dans la polis, dans toutes les sphères de la société et de la culture.

L'homme moderne a sapé les garanties de libertés sans chaos. Les humanistes ont livré un combat à mort contre la connaissance de Dieu, un Dieu qui n'est pas resté silencieux, un Dieu qui a parlé dans la Bible et par le Christ; ils ont livré ce combat, et la mort des valeurs a suivi la mort de la connaissance de Dieu.

Il s'ensuit premièrement la décadence. Pensons un instant à Times Square, à la 42e Rue et à Broadway, à New York, à la ravissante Kalverstraat d'autrefois à Amsterdam, aux vieilles rues de Copenhague. Ces lieux ont tant changé. Nous sommes marqués par les cicatrices de l'ancienne Rome, dégénérescence, décadence, dépravation, violence. Pompéi est de retour! Et nous sommes tous concernés, partout.

Deuxièmement, une société ne supporte pas le chaos. Alors, un individu ou un groupe élitaire viendra combler le vide et imposer arbitrairement ses absolus. Qui restera debout, pour y faire face?

La fameuse majorité silencieuse des années 1960 et 1970 aux Etats-Unis groupait, d'un côté, une minorité de chrétiens aux convictions bibliques solides et, de l'autre, une masse de gens – anciens et nouvelle génération – dont les seules valeurs se résumaient au confort personnel et à la poursuite de la prospérité matérielle, en dépit des différences de style de vie propres aux modes du moment.

Cette majorité silencieuse n'était pas une alternative crédible. Pouvait-elle se lever, au nom de ses «valeurs», pour défendre ses libertés, ou se contenter d'assister passivement à leur grignotage ? Les politiciens savent ce qu'il faut promettre pour être élus : faire miroiter la tranquillité personnelle et l'abondance, même illusoires et trompeuses. La politique a perdu son idéal.

Edward Gibbon (1737–1794), dans son Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain, ouvrage écrit entre 1776 et 1788, décrit cinq caractéristiques de la chute de Rome qui nous semblent bien familières:

  • l'amour grandissant du luxe ostentatoire (l'abondance!);
  • le fossé qui s'élargit entre les gens très riches et les plus pauvres;
  • l'obsession du sexe; l'art fantaisiste, le déguisement considéré comme une originalité,
  • la prétention enthousiaste à la créativité;
  • l'émergence de modes de vie en marge de l'Etat.

Depuis le début de ce livre, nous avons parcouru une longue route et nous voilà de retour à Rome.

Notes

1. En France, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée jusqu'à la dixième semaine de la gestation, voire au-delà pour des motifs thérapeutiques (indications pour risque maternel ou pour risque fœtal). L'IVG est libre pour toute femme majeure; pour les mineures, le consentement parental est requis. (Lois du 17 janvier 1975 et du 13 décembre 1979.) Les actes médicaux liés à l'avortement sont remboursés par la Sécurité sociale depuis décembre 1982. En outre, en France toujours, le contragestif RU 486 est utilisé depuis septembre 1988. Son utilisation, sa détention et sa distribution sont fixées par l'arrêté du 28 décembre 1988. En Suisse, la libéralisation de l'avortement provoque des débats très vifs dans les milieux politiques et parlementaires, notamment par le jeu d'initiatives populaires soumises au vote du peuple. La législation est diversement appliquée suivant les cantons de la Confédération. Note du traducteur. (Retour au texte)

2. Par cette décision de 1857, dans le cas Dred Scott vease Sanford, en pleine controverse sur la question de l'esclavage, la Cour suprême dénie au Congrès le droit de bannir l'esclavage des territoires de l'Ouest et elle proclame son soutien aux esclavagistes du Kansas, territoire en voie d'organisation vendu en 1803 par Napoléon aux Etats-Unis. Les treizième et quatorzième amendements constitutionnels ont été proposés et adoptés par le législateur entre 1865 et 1868. Ils sont qualifiés d'amendements de la Reconstruction, du nom de la période qui a suivi la guerre de Sécession. Ils annulent en partie la décision Dred Scott de la Cour. Le treizième amendement interdit l'esclavage et le quatorzième garantit à «toutes les personnes nées ou naturalisées aux Etats-Unis (...) les privilèges et l'immunité de citoyens (...); aucun Etat ne peut priver une personne de la vie, de la liberté et de la propriété hors du processus judiciaire régulier; ni la priver (...) de l'égale protection de la loi.» On comprend mieux l'objectif des auteurs de ces deux amendements: la protection absolue de la vie humaine. Note du traducteur. (Retour au texte)


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