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Histoire vraie de Sebti 6

Le visiteur dangereux!

– Tu viens, Sebti? On va jouer? dit un camarade d'école. Un sourire éclaire aussitôt le visage du petit Algérien. Il appuie son vélo contre un arbre, et rejoint son copain.
– Oh! mais... tu comprends tout de suite, à présent! Au début, quand tu es arrivé on avait beau te répéter lentement la même phrase... ça n'entrait pas! Quels progrès tu as faits, Sebti!
– Heureusement! Comme ça, je ne suis plus tout seul dans un coin. Pour la grande soeur Aouacha, c'est un peu la même chose. Hélas! la pauvre maman reste loin en arrière. A la maison on ne parle que l'arabe, mais au-dehors elle se sent tellement étrangère. Il est dur de ne rien comprendre!

Un matin, le facteur arrive, tout essoufflé. Ca monte, pour aller chez les Algériens. Pas question de pédaler, sur un tel chemin. Il a donc poussé sa bécane, la grosse sacoche postale accrochée au guidon.
– Ohé! il y a quelqu'un? C'est la poste! crie jovialement le brave homme. Ohé! c'est le facteur! Bientôt, la femme du bûcheron se montre à la porte.
– Bonjour, Madame! Je vous apporte de l'argent... les allocations familiales!
– ...
– II faut signer ici!
– ...?

Mais la mère algérienne ne comprend vraiment rien. Et elle est seule. Son mari travaille dans la forêt. Les enfants sont à l'école. Qu'est-ce que cet homme peut bien venir faire ici? Des allocations, c'est la première fois que cette famille en reçoit depuis son arrivée. En Algérie, ce genre d'aide n'existait pas.
– Là, Madame! vous devez signer! reprend le facteur. Mais la mère de Sebti répond à cet intrus par un regard sévère. Que lui veut cet homme à casquette? Quelles sont ses intentions? Serait-il venu pour voler... ou même pour faire du mal à cette femme sans défense?

Oui, oui, c'est sûrement cela, du moins le pense-t-elle.
– Je vous apporte des sous, mais vous devez signer! insiste le facteur. Des sous... c'est tout ce qu'elle a cru comprendre, dans cette longue suite de mots bizarres. Des sous! Aussitôt, les pensées galopent sous ses cheveux foncés:
– C'est bien ça. Il veut de l'argent. Et moi qui suis toute seule. Oh! mais je ne vais pas me laisser faire. Vite... A la stupéfaction du facteur, elle court derrière la maison, tout en vociférant quelque chose dans sa langue.
– Patientons! se résigne le fonctionnaire postal. Elle est peut-être allée chercher un crayon pour signer. Mais j'en avais un, moi! Un crayon? Pensez donc! Soudain, le facteur voit resurgir la dame. Mais avec quoi? Elle brandit une hache... pour se défendre! Alors, quel coup de théâtre! Pauvre facteur! Jamais il n'a sauté si lestement sur son vélo! Ah ! elle exulte, la courageuse algérienne, en voyant déguerpir son dangereux agresseur!

En fin d'après-midi, encore sous le coup, le facteur rencontre le bûcheron.
– Dites donc, l'ami! Là-haut, j'y vais plus, moi! J'apportais de l'argent à votre femme, et elle a failli me fendre le crâne avec une hache! Le soir, que de rires à la table familiale, quand enfin la brave maman a compris son erreur!
– Tous les mois, il va revenir! explique le bûcheron. La prochaine fois, n'aie pas peur, mais tâche de le recevoir un peu plus gentiment! Et toi, Sebti! si tu es par là, dis vite à ta mère ce qu'on lui raconte en français!
Traducteur! Voilà un métier auquel notre jeune écolier n'avait pas encore pensé. Mais ça pourrait être utile, pour éviter de pareilles mésaventures!

Texte: Samuel Grandjean


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